Cyrille Wilczkowski (Traduction)
» Il y a des oeuvres à connaître et je remercie notre compatriote Gorgui WADE, depuis Génève qui nous titille les méninges avec des conférenciers de talents sur des sujets complexes ( Gingimbre). Oui le monde est complexe et peut-être que les mythes et légendes nous ouvriront les yeux ou les fermeront » P B CISSOKO
Comme le dit Nicolas Berdiaev, la Légende du Grand Inquisiteur, c’est le sommet de l’oeuvre créatrice de Dostoïevski, le couronnement de la dialectique de ses idées. Dès la parution de la Légende dans les Frères Karamazov, les penseurs russes ont saisi la portée du mythe dévoilé par Dostoïevski, aussi bien pour son oeuvre que pour la conscience humaine en général.
Ce dilemme aigu entre le salut individuel et la masse, entre liberté et contrainte, n’est-il pas le fond même de la condition humaine ?
Plus qu’à la forme littéraire, ces textes s’attachent au contenu de l’énigmatique fable de Dostoïevski. Méditations sur l’utopie et l’anti-utopie, sur le problème du mal dans l’histoire, ils s’efforcent d’élucider des visions qui deviendront des questions essentielles du XXe siècle : la relation entre l’unicité de l’individu, la masse et le pouvoir Le lecteur voit au travers de cet ensemble de contributions combien l’oeuvre de Dostoïevski est importante dès son vivant, mais aussi combien la richesse et l’intensité de ses idées orientent la lecture, dans les années qui suivent la parution de l’oeuvre, vers des interprétations philosophiques et spirituelles.
Ce recueil qui, à la suite du texte original, réunit les textes de six grands philosophes, théologiens et critiques littéraires russes, apporte une contribution capitale à la compréhension métaphysique du grand écrivain. Il permet de suivre de près la manière dont s’est élaborée, au cours des décennies qui ont suivi sa mort, la perception de ses oeuvres en Russie. Il montre aussi toute la fertilité et la profondeur de la philosophie russe et de la théologie orthodoxe, largement ignorées en Occident –Ce texte fait référence à l’édition Broché.
« La légende du Grand Inquisiteur » de Dostoïevski : Jésus et l’impossible liberté humaine
Lecture
« La légende du Grand Inquisiteur » de Dostoïevski : Jésus et l’impossible liberté humaine
« La légende du Grand Inquisiteur », passage le plus connu des « Frères Karamazov », a été rééditée par Desclée de Brouwer. L’occasion de redécouvrir ce récit philosophique, né il y a 200 ans.
Dernier roman de Fiodor Dostoïevski, Les Frères Karamazov (1880)est probablement aussi son plus grand chef-d’œuvre. À travers l’histoire de trois frères, Dimitri, Ivan et Alexeï, l’écrivain russe explore des thèmes comme Dieu, la liberté, la morale, la raison ou le doute.
« La légende du grand inquisiteur », que les éditions Desclée de Brouwer ont décidé de rééditer avec le chapitre précédent et une excellente préface de l’écrivain Michel Del Castillo, est assurément l’extrait le plus connu de cet imposant récit. Ce conte philosophique apparaît lors d’un dialogue entre deux des frères, Ivan, rationaliste athée marqué par la souffrance du monde, et Alexeï, surnommé Aliocha, fervent chrétien et jeune moine. Alors qu’Ivan expose à son frère sa « révolte » contre Dieu, il décide de lui raconter un poème qu’il a composé.
JÉSUS AU BÛCHER
L’histoire se déroule à Séville au XVIe siècle, en pleine Inquisition, lors de laquelle « on brûlait les hérétiques dans de magnifiques autodafés ». Ce n’est pas encore la « fin des temps », loin de là. Jésus décide pourtant de « visiter ses enfants ne serait-ce que pour un instant, et là précisément, où crépitaient les bûchers des hérétiques ». « Il apparaît doucement, explique Ivan Karamazov, sans attirer l’attention et – chose étrange – on Le reconnaît. » Bien qu’il ne réalise aucun miracle, « le peuple accourt vers Lui, attiré par une force irrésistible, L’entoure, et, toujours plus nombreux, Le suit. » Les Espagnols sont heureux de revoir le Christ. Il est néanmoins arrêté et présenté au Grand Inquisiteur, qui le condamne à mourir au bûcher le lendemain.
Le juge estime que le retour de Jésus pose un problème à l’Église catholique. Cette dernière a enfin trouvé un équilibre. Or, les enseignements de Jésus sont trop subversifs. Le Christ risquerait de « déranger » à nouveau l’Église romaine et ses fidèles. Le Grand Inquisiteur considère que Jésus demande aux hommes des choses surhumaines. Cela transparaît lorsque le Nazaréen est tenté trois fois par Satan dans le désert au début de son ministère. Il refuse alors de changer la pierre en pain, de se jeter dans le vide et de s’agenouiller devant le tentateur.
Pour l’Inquisiteur, le Diable a alors révélé au fils de Dieu les limites de la condition humaine. « Il y a trois forces, les seules qui puissent subjuguer à jamais la conscience de ces faibles révoltés, ce sont : le miracle, le mystère, l’autorité ! Tu les as repoussées toutes trois, donnant ainsi un exemple » détaille-t-il. En repoussant les tentations de son adversaire, au nom de la liberté, Jésus refuse une solution de facilité. Mails il révèle à l’Humanité qu’elle n’est ni apte à la liberté, ni à l’amour, les deux choses que Dieu exige d’elle. Les hommes se sachant condamnés, ils ont été livrés à l’angoisse.
Un retour prolongé du Christ risquerait de provoquer le même effet. « Ils comprendront, enfin, que la liberté et la liberté terrestre pour tout le monde sont incompatibles, car jamais, jamais, ils ne sauront se répartir le pain entre eux ! Ils se convaincront aussi qu’ils ne pourront jamais être libres, car ils sont faibles, vicieux, nuls et rebelles. Tu leur as promis le pain céleste, mais, je le répète, est-ce qu’il saurait être comparé avec le pain terrestre, aux yeux du genre humain faible, toujours vicieux et toujours ingrat ? », explique le Grand Inquisiteur. Ce presque monologue constitue à lui tout seul une réflexion complète sur la condition humaine, la liberté et la religion.
* Fiodor Dostoïevski, La légende du grand inquisiteur, Desclée de Brouwer, 80 pages, 5,90 euros
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