Idriss Déby est mort comme il est né, les armes à la main. Certains diront « quelle plus belle mort pour un militaire ! », de même que Molière qui rêvait de mourir sur scène. Quand bien même on est en droit de s’interroger sur sa présence au front, à soixante-neuf ans, alors qu’il a un fils de trente-sept ans, général quatre étoiles. Le paradoxe est qu’il a été tué par les rebelles du nord, alors que lui même à longtemps été un rebelle au pouvoir en place à N’Djamena. Et aujourd’hui, alors que certains vont pleurer sur sa dépouille, d’autres vont dire leur joie de voir le Tchad débarrassé d’un dictateur.
C’est ce contraste que, pour ma part, je voudrais retenir. En en ajoutant un supplémentaire, celui de gendarme « pro-français », « pro-Barkane » au Sahel. Et c’est avant tout cet aspect de sa personne que regrette aujourd’hui l’Elysée, qui perd un de ses pions essentiels sur l’échiquier de la région, dans le cadre du G5 Sahel. Entre la France et Idriss Déby, tout à toujours été question d’un « prêté pour un rendu ». Lorsqu’à plusieurs reprises, au cours des trente dernières années, son régime a été menacé par des offensives militaires, dont certaines ont échoué à la porte même de la capitale, la France à su répondre présente par ses militaires et ses agents de la DGSE. Et lui a sauvé la mise politique, en même temps sans doute que la vie.
Alors, quand les terroristes, de Boko Haram et d’Al Qaïda au Margheb (AQMI), ont commencé à investir la bande sahélienne, à qui la France a-t-elle demandé de servir de bouclier ? Tout naturellement au Tchad, alors que de son côté elle portait le glaive contre les groupes jihadistes présents en Mauritanie, au Burkina Faso, au Tchad, et au Mali. Paris qui est très heureux, en outre, de pouvoir disposer sur place, dans la capitale tchadienne, du « dispositif Epervier » avec sa concentration d’hommes et de matériels qui facilitent les opérations militaires dans toute cette région d’Afrique de l’Ouest.
Cet échange mutuel de bon services a bien fait les choses durant trois décennies, chacun des deux pays étant, tour à tour, débiteur et créditeur de l’autre, sur le mode de « je te tiens par la barbichette ». Et quand bien même cela nécessitait quelques concessions au niveau des droits de l’homme, que Paris avait préféré recouvrir d’un voile pudique. Car les trente ans de présidence d’Idriss Deby ont été trente ans d’un pouvoir absolu, sans partage, autoritaire, où l’opposition était muselée et où la démocratie n’était qu’une vue de l’esprit et certainement pas une réalité. En chaque homme il y a une face obscure.
La question qui se pose aujourd’hui est : Et maintenant ? Le Tchad étant un pion essentiel sur l’échiquier, cette disparition du président-maréchal, risque-t-elle de favoriser un retournement de situation en faveur des jihadistes ? On doit, sans nul doute, se réjouir aujourd’hui dans les katibas de la région. Mais nul n’est irremplaçable, et d’ores et déjà un pouvoir de transition s’est mis en place à N’Djamena, pour 18 mois (sur le modèle malien) avec à sa tête le propre fils du maréchal. A l’exemple de la monarchie, la transmission de pouvoir en Afrique, se fait souvent de façon héréditaire, c’est donc Mahamat Idriss Déby, qui était à la mort de son père à la tête de la garde présidentielle, qui va lui succéder temporairement. A l’évidence, son expérience politique est des plus limitée, mais pour le Tchad, et la France, ce n’est pas le moment de faire le difficile, et à n’en pas douter celui-ci à déjà reçu de la part de l’ambassadeur de France à N’Djamena les encouragements de Paris. Et même si la Françafrique n’existe plus que dans certains esprits malveillants (…) il y a gros à parier qu’il sera chaperonné dans les premiers temps par quelques éminences grises élyséennes et de la DGSE.
L’enjeu, en effet, est trop important, à l’heure où la France envisage sérieusement un allègement du dispositif Barkane, dont le QG est à N’Djamena. En ce sens les mois qui vont venir vont être ceux de tous les dangers et de tous les périls, et un des voisins du Tchad, le Mali, aux avant-postes de la lutte anti-terroriste, et très inquiet de la mort survenue le week-end dernier d’Idriss Deby, et des conséquences qui risquent d’en découler.
Par un étrange coup du sort, et du destin, Idriss Deby est mort le jour même où on proclamait officiellement sa réélection, avec 79, 32 % des voix, pour un sixième mandat. Ce jour-là, la baraka dont il bénéficiait depuis plusieurs décennies, l’a abandonné et ne lui aura pas permis de bénéficier de ce plébiscite, pas plus que de son récent bâton de maréchal. Un bâton qui n’avait pas davantage porté chance avant lui à Bokassa, Amin Dada ou Mobutu.
Pour ses admirateurs Idriss Déby restera ce guerrier qui avait choisi pour emblème une kalachnikov croisée avec une houe. Sa dépouille sera prochainement inhumée parmi celles de son ethnie, les zaghawa, dans sa région natale, dans l’extrême Est du Tchad, tournant ainsi une page de trente années de l’histoire du Tchad.
Jean-Yves Duval, Directeur d’Ichrono et d’Ichrono FM