Fatou Diome « Aucune nuit ne sera noire »

« La transmission est une chose importante. La vie est une somme de choses accumulées à travers le temps et qui se transmettent de génération en en génération.

Il y a un poème classique de David DIOP qui dit ceci et on comprend alors l’angle d’attaque de Fatou DIOME, très attachée à son patrimoine et héritage transmis.

Elle y puise sa force et son envie aussi de conter, de transmettre » P B CISSOKO 

Bien longtemps après la disparition de son grand-père, Fatou Diome se souvient encore de sa perspicacité et de ses enseignements qui ont enchanté son enfance, passée auprès de ce vieux pêcheur de la région du Saloum, et qui continuent d’éclairer sa vie. Aucune nuit ne sera noire (2025, éd. Albin Michel) résonne de la voix réconfortante de cet aïeul et mentor qui lui a appris à se nourrir des différences et à se frotter à la vie.

Dans un roman marqué par les souvenirs et la sagesse des anciens, Fatou Diome livre un hommage tendre et intime à son grand-père, dédicataire de tous ses romans et formidable maître à penser dont la sagesse fut fondatrice dans son parcours de femme de lettres.

« Rien de ce qui tient dans une poche ou dans un grenier ne vaut la mémoire des aînés, disait-il. »

« Ma vie consiste à survivre dans l’immortalité de mon grand-père » selon Fatou Diome autrice de « Aucune nuit ne sera noire »

Une rencontre avec celui à qui Fatou Diome dédicace tous ses livres, son grand-père. Entre appel des souvenirs et invocations, force de l’émotion et saisissement de la langue, ce récit tendre et intime nous livre à mots couverts le secret d’une relation authentiquement forte et fondatrice.

Plus qu’un guide, un capitaine à la barre de son éducation

Après Le Ventre de l’Atlantique, Quétala, Les veilleurs de Sangomar, c’est avec un roman sur son histoire personnelle que la membre de l’Académie royale de langue et de littérature française de Belgique revient nous parler du Sénégal où elle est née. Les parents de Fatou Diome sont très jeunes, et étant le fruit d’une union hors mariage, elle sera toujours considérée comme illégitime. La jeune enfant est alors élevée par ses grands-parents. Bien des années après son décès, elle garde une adulation pour son grand-père, qui l’emmenait pêcher en pirogue en mer. « Je voulais qu’on se souvienne de ‘mon capitaine’. C’était un rebelle, un homme assoiffé de justice, un homme qui ne supportait pas ce côté religieux qui considère certains enfants comme illégitimes. C’est son port de tête qui m’a donné mon port de tête. Et c’est lui qui m’a donné foi en la vie » confie-t-elle.

Un lien familial mais aussi amical avec son grand-père

Les origines de la famille de son grand-père sont transnationales, parcourant l’Afrique de l’Ouest en passant par la Gambie, la Guinée, jusqu’au Mali. Un héritage multiculturel qui a donné à son mentor un regard fraternel sur le monde. « Il me disait : n’oublie pas, tous les ports donnent sur la mer, comme tous les peuples sont ouverts sur l’humanité, la même humanité ». Une image parmi d’autres transmises à la petite fille. Un dialogue ouvert et généreux qui a forgé le caractère de la future écrivaine, et une relation exceptionnelle entre membre d’une même famille.

« Mes grands-parents ne m’ont jamais parlé comme à une ‘nunuche’. Pardon de dire ça, mais parfois, les grands-parents vous parlent comme si vous étiez une espèce de sucre d’orge prête à fondre. Non, ils m’ont parlé de la vie sans me mentir. Ils me disaient très lucidement les choses de la vie, mais en me rassurant, en me donnant une espèce de colonne vertébrale pour accepter, avancer et me faire confiance. C’était une amitié humaine, une espèce de rencontre fraternelle. D’ailleurs, je tiens cette expression de mon grand-père ».

Une philosophie sur la mort à l’encontre de Cicéron

« Les morts ne se contentent pas de végéter parmi les ombres de la mémoire. Ils ont été, ils sont et demeureront toujours tels qu’ils ont été pour nous » estime l’autrice franco-sénégalaise.

Alors comment faire le deuil d’une relation aussi fusionnelle et constructive ? Fatou Diome offre dans son roman une approche positive de l’absence du défunt : « Mon peuple a un passé animiste, nous changeons d’espace dans l’univers, exactement comme on change de pièce dans la même maison. Donc, j’ai osé contredire Cicéron qui dit que ‘la vie des morts consiste à vivre dans l’esprit des vivants’. Moi c’est l’inverse. C’est ma vie qui consiste à survivre dans l’immortalité de mon grand-père ».

Membre de l’Académie royale de Belgique, Fatou Diome est une écrivaine franco-sénégalaise qui s’est fait connaître du grand public avec son premier roman, Le Ventre de l’Atlantique (2003, éd. Anne Carrière). Traduit en plus de vingt langues, il explore les relations entre la France et le continent africain, notamment dans le cadre de l’immigration. Fatou Diome est également l’autrice d’un recueil de nouvelles « De quoi aimer vivre » (2021), d’un essai politique « Marianne face aux faussaires » (2022) et d’un essai littéraire « Le verbe libre ou le silence » (2023), tous parus aux éditions Albin Michel.

Fatou Diome : © Patrice Normand/Leextra/Editions Albin Michel

 

LES MORTS NE SONT PAS MORTS – BIRAGO DIOP

Les morts ne sont pas morts
Les morts ne sont pas morts
Ecoute plus souvent
Les choses que les êtres,
La voix du feu s’entend
Entends la voix de l’eau
Ecoute dans le vent
Le buisson en sanglot :
C’est le souffle des ancêtres.
Ceux qui sont morts ne sont jamais partis
Ils sont dans l’ombre qui s’éclaire
Et dans l’ombre qui s’épaissit,
Les morts ne sont pas sous la terre
Ils sont dans l’arbre qui frémit,
Ils sont dans le bois qui gémit,
Ils sont dans l’eau qui coule,
Ils sont dans l’eau qui dort,
Ils sont dans la case, ils sont dans la foule
Les morts ne sont pas morts.
Ceux qui sont morts ne sont jamais partis,
Ils sont dans le sein de la femme,
Ils sont dans l’enfant qui vagit,
Et dans le tison qui s’enflamme,
Les morts ne sont jamais sous terre,
Ils sont dans le feu qui s’éteint,
Ils sont dans le rocher qui geint,
Ils sont dans les herbes qui pleurent,
Ils sont dans la forêt, ils sont dans la demeure,
Les morts ne sont pas morts.
Ecoute plus souvent
Les choses que les êtres,
La voix du feu s’entend
Entends la voix de l’eau
Ecoute dans le vent
Le buisson en sanglot :
C’est le souffle des ancêtres.
Le souffle des ancêtres morts
Qui ne sont pas partis,
Qui ne sont pas sous terre,
Qui ne sont pas morts
Ecoute plus souvent
Les choses que les êtres,
La voix du feu s’entend
Entends la voix de l’eau
Ecoute dans le vent
Le buisson en sanglot :
C’est le souffle des ancêtres
Il redit chaque jour le pacte
Le grand pacte qui lie,
Qui lie à la loi notre sort;
Aux actes des souffles plus forts,
Le sort de nos morts qui ne sont pas morts;
Le lord pacte qui nous lie aux acte
Des souffles qui se meuvent.
Dans le lit et sur les rives du fleuve,
Dans plusieurs souffles qui se meuvent
Dans le rocher qui geint et dans l’herbe qui pleure
Des souffles qui demeurent
Dans l’ombre qui s’éclaire on s’épaissit,
Dans l’arbre qui frémit, dans le bois qui gémit,
Et dans l’eau qui coule et dans l’eau qui dort,
Des souffles plus forts, qui ont pris
Le souffle des morts qui ne sont pas morts,
Des morts qui ne sont pas partis,
Des morts qui ne sont plus sous terre.
Ecoute plus souvent
Les choses que les êtres…

Birago DIOP
[Les contes d’Amadou Koumba]