Dans son grand projet de « déportation de masse », Donald Trump s’appuie sur un réseau de pays tiers qu’il s’évertue à élargir. Ce faisant, le locataire de la Maison Blanche semble peu se préoccuper des conditions d’accueil de ceux qu’il expulse, au détriment du droit américain.
Pour mener à bien « la plus grande opération de déportation de l’histoire américaine », Donald Trump semble prêt à tordre la loi en sa faveur. À son retour dans le Bureau ovale, il a rivalisé d’ingéniosité pour atteindre ses nouveaux objectifs : expulser « un million de personnes par an ».
À coups de nécromancie législative, le locataire de la Maison Blanche a par exemple dépoussiéré une loi de 1798, l’Alien Enemies Act, pour envoyer au Salvador des Vénézuéliens accusés de faire partie du gang Tren de Aragua, qualifié de terroriste par les États-Unis. Une munition parmi le vaste arsenal législatif à disposition du président.
Au centre de ce dispositif, une exception du droit américain sur l’immigration et des accords bilatéraux lui permettant d’accélérer le processus d’expulsions alertent de nombreuses ONG de défense des droits de l’Homme.
« Pays tiers sûrs »
Aux États-Unis, l’immigration et le droit d’asile sont régis par l’Immigration and Nationality Act (INA) de 1952. Le premier paragraphe de la section 208 de cette loi prévoit que « n’importe quel étranger physiquement présent aux États-Unis ou qui arrive aux États-Unis […] peut demander l’asile ». À quelques exceptions près.
En 1996, une réforme établit la notion de « pays tiers sûrs », à savoir un État ayant signé un « accord bilatéral ou multilatéral » avec les États-Unis permettant à Washington d’y envoyer ses demandeurs d’asile. Le premier accord, passé avec le Canada en 2002, spécifie que le migrant doit effectuer sa demande d’asile dans le pays de passage. En l’occurrence, un individu traversant le Canada pour se rendre aux États-Unis doit demander l’asile au Canada sous peine d’y être renvoyé en arrivant à la frontière américaine.
Les prochains accords ne seront pas signés avant 2019, pendant le premier mandat de Trump. Faute de lever assez rapidement des fonds pour ériger le mur à la frontière mexicaine, promis à ses électeurs, le président cherche alors d’autres solutions pour satisfaire le camp MAGA. Il menace donc trois pays, le Guatemala, le Honduras et le Salvador, de sanctions économiques pour leur faire passer des accords de « pays tiers sûrs ». Freiné dans ses efforts par la pandémie, Donald Trump voit ensuite son successeur, Joe Biden, révoquer ces trois accords en février 2021.
Peu de temps après, un rapport de Human Rights Watch et de Refugees International avait démontré que ce système avait en réalité permis à Washington de « transférer des demandeurs d’asile vers des pays par lesquels ils n’étaient jamais passés en chemin vers les États-Unis ». Une enquête parlementaire avait également révélé que « pas un seul demandeur d’asile transféré des États-Unis au Guatemala n’y avait obtenu l’asile ».
Pourtant, depuis son retour à la Maison Blanche, Donald Trump entend bien renouer les liens décousus par Joe Biden. Le 14 août 2025, le secrétaire d’État Marco Rubio a annoncé la signature d’un « safe third country agreement » avec le Paraguay, signe que Washington considère encore ce projet. Le président semble cependant avoir trouvé une solution bien plus efficace.
Accords bilatéraux
Nouvelle arme dans son arsenal législatif, les accords bilatéraux ont accaparé une grande partie de l’attention de l’administration Trump depuis janvier 2025. Ils simplifient grandement les objectifs migratoires du président et permettent d’expulser les nouveaux demandeurs d’asile comme les migrants illégaux déjà présents sur le sol américain. Depuis le début de l’année, Donald Trump s’évertue ainsi à bâtir et à étendre un important réseau de nations prêtes à accueillir tous ceux qu’il souhaite renvoyer.
À la date de rédaction de cet article, l’ex-businessman vient d’ajouter l’Ouganda et le Honduras à une longue liste de douze pays. Le Panama, le Costa-Rica, le Venezuela, le Mexique, le Guatemala, le Salvador, le Soudan du Sud, l’Eswatini, le Rwanda et le Kosovo ont tous accueilli, ou accepté d’accueillir, ceux que Washington expulse. En contrepartie, certains de ces États espèrent des compensations financières, ou une levée des sanctions qui pèsent contre eux. Pour beaucoup, notamment les pays d’Amérique latine, il s’agit essentiellement d’un bras de fer remporté par les États-Unis en raison de son poids considérable dans l’économie de ces pays.
Gare aux confusions : les accords passés avec ces États ne sont pas régis par l’exception de « pays tiers sûrs ». Il s’agit de pays tiers qui acceptent de recevoir des individus contre qui des « ordres d’expulsion » ont été émis, explique Dan Berger, chercheur à la faculté de droit de Cornell et membre du cabinet Green and Spiegel, spécialisé en droit de l’immigration. « Les États-Unis utilisent ces accords avec d’autres pays pour atteindre deux objectifs : refuser l’asile au plus de migrants possibles tout en expulsant le plus grand nombre possible », poursuit-il.
Dans le droit américain, un individu sous obligation d’expulsion doit être renvoyé dans son pays d’origine. Dans la mesure où ce pays refuse de le reprendre, la loi stipule qu’il faut déterminer « une nation alternative », explique Dan Berger. Qu’il s’agisse de la nation d’origine ou d’un pays alternatif, la décision ne peut néanmoins être prise sans l’assurance que « la vie ou la liberté de l’étranger ne seront pas menacées en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social particulier ou d’une orientation politique ». Une garantie à laquelle le président américain a trouvé la parade.
Les pays avec lesquels des accords sont signés sont automatiquement considérés comme « sûrs ». Il n’est plus nécessaire de le démontrer. « L’administration Trump semble affirmer que ces accords bilatéraux suffisent », explique Dan Berger. Ils permettent ainsi d’accélérer le processus d’expulsion, au détriment du respect des droits de l’Homme.
« Trump cherche délibérément les endroits les plus menaçants »
Au-delà du simple fait que beaucoup des États signataires sont parmi les plus pauvres du monde, ils font également face à de graves problématiques sécuritaires. Le Honduras, le Venezuela ou le Salvador par exemple « produisent déjà énormément de migrants dont la liberté y est menacée et qui quittent ces pays pour des raisons politiques », rappelle Marilou Sarrut, doctorante en géographie et autrice d’une thèse sur les traversées migratoires à travers la jungle du Darien.
Mêmes constats pour le Soudan du Sud, le Rwanda, l’Eswatini ou l’Ouganda dont les situations humanitaires et sécuritaires sont parmi les plus fragiles au monde.
« L’administration Trump cherche délibérément à trouver les endroits les plus menaçants et les plus dangereux du monde. Elle essaye d’effrayer les migrants présents aux États-Unis pour les pousser à quitter le territoire d’eux-mêmes », juge Bill Frelick, le directeur de la division Droits des réfugiés et migrants de Human Rights Watch.
À cela s’ajoute une importante zone d’ombre autour des accords signés. « Le Panama et le Costa Rica pensaient simplement servir d’escale pour les individus expulsés avant que ceux-ci soient renvoyés vers leurs pays d’origine », développe Bill Frelick. « Soudain, ces pays se sont retrouvés avec des responsabilités et des obligations en vertu du droit national et international d’examiner des demandes auxquelles ils ne s’attendaient pas », poursuit-il.
En effet, plusieurs migrants sont Afghans, Iraniens ou encore Russes et refusent d’être rapatriés vers leurs pays d’origine, qu’ils ont souvent fui par peur d’être persécutés. Les y renvoyer contreviendrait entièrement à leur sécurité. « Nous ne savons pas combien de personnes sont dans cette situation », explique Dan Berger, qui précise que l’équipe de l’école de droit de Cornell est « en lien avec au moins un Afghan qui a été renvoyé dans son pays d’origine et qui est en grave danger ».
Se pose alors un casse-tête juridique et humanitaire dont Donald Trump semble vouloir se débarrasser en expédiant, rapidement, le plus d’étrangers – bien que certains vivent depuis des années aux États-Unis – possible dans des pays tiers dont ils deviennent la responsabilité.