Il y a en littérature un style d’écriture qu’on appelle uchronie, qui est une fiction écrite à partir d’un fait historique et présente une version alternative de l’histoire, une réécriture historique. J’y ai recouru moi-même en écrivant « Adolf H », le récit d’un projet d’assassinat de Hitler en France par les services du 2ème Bureau. A la base il y un fait avéré, une réalité, l’idée d’un attentat contre la personne du Führer imaginée par le colonel Rivière à l’occasion du déplacement à Paris du chancelier allemand, sauf que Daladier, qui était le président du conseil à l’époque s’est opposé à sa réalisation, au prétexte qu’on « ne tue pas un chef d’Etat ». La thèse de mon roman est, qu’au contraire, celui-ci ait donné son aval ce qui aurait changé la face du monde.
En voyant les évènements récents à propos de la guerre en Ukraine et de son évolution depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, avec un revirement de la politique américaine et un renversement des alliances, je me suis alors souvenu du livre de Philip Roth « Le complot contre l’Amérique ». Dans cet ouvrage, remarquable, le grand romancier américain imagine que lors de l’élection présidentielle américaine de 1940, le célèbre aviateur Charles Lindberg ait battu le président Delano Roosevelt, ce qui, si cela s’était réellement produit, aurait également modifié le cours de l’histoire.
En effet, ce grand aviateur, qu’on surnommait « l’Aigle », était un fervent admirateur de l’armée allemande et fût même décoré par Goering en 1938, il se montra aussi un partisan farouche de la neutralité américaine au début de la guerre. Comme Trump aujourd’hui, Lindberg était également républicain et avait été candidat au poste de gouverneur du Minnesota mais il est surtout connu pour avoir effectué le premier vol direct de l’histoire Paris- New-York, sans escale et en solitaire, le 21 mai 1927 sur le Spirit of Saint-Louis. Mais au-delà de cet exploit, Philipe Roth s’est inspiré de la personnalité de Lindberg car l’aviateur était connu pour défendre des idées isolationnistes et être le porte parole du comité « America First », ce qui n’est pas sans nous rappeler un slogan très en vogue actuellement outre-Atlantique. Lindberg était aussi connu pour avoir prononcé à Des Moines, en 1941, un discours radiophonique dans lequel il accusait « les juifs américains de manipuler les médias et le gouvernement » dans le but d’entreprendre une guerre inutile contre l’Allemagne nazie. Un discours dans lequel on sentait poindre quelques relents d’antisémitisme. Dans le roman le 33ème président des Etats-Unis signe donc un pacte de non agression avec Hitler, comme celui-ci le fera réellement avec Staline.
Pour ceux qui s’intéressent à l’actualité qui fait l’histoire je recommande vivement la lecture de « Complot contre l’Amérique » de Philippe Roth publié voici vingt ans et étrangement actuel.
Pour ma part si je devais écrire une uchronie à propos de l’arrivée de Donald Trump dans le bureau ovale et ses étranges, et coupables, relations avec Vladimir Poutine, il me faudrait choisir entre deux angles d’attaque, soit le côté mafieux des deux hommes qui pourrait expliquer leur complicité, soit sa manipulation par le FSB. Dans ce dernier cas je m’attacherai à démontrer comment il est devenu le jouet du tsar du Kremlin par le biais d’un kompromat dont les russes sont si friands pour manipuler leurs proies et les faire chanter. Beaucoup s’inquiètent en effet de ses étranges et inquiétantes connivences avec le dictateur russe, et sans tomber dans le complotisme, l’idée qu’il aurait pu être recruté par le KGB, sous le nom de « Krasnov », (qui signifie « rouge ») au cours des années 1980, lors de ses voyages à Moscou, dans le cadre de ses activités immobilières, fait son chemin dans l’esprit de beaucoup d’observateurs. Il faudrait d’ailleurs plutôt parler « d’un pion potentiel », que d’un agent. Quand on connaît l’appétence du « guerrier solitaire » comme il s’est lui-même surnommé, pour la gente féminine rien n’aurait été plus facile de le faire tomber dans les filets, en l’occurrence les bas de soie d’une « hirondelle », comme on a baptisé les officières féminines du KGB chargées de recruter des personnalités étrangères. Cela aurait été d’autant plus facile qu’outre l’impérialisme, plusieurs traits de la culture russe fascinent depuis longtemps l’occupant de la Maison Blanche en particulier la force et l’idée d’un grand Etat, d’où son désir d’annexer le Canada et le Groënland comme Vladimir l’a fait avec la Crimée et tenté de récidiver avec l’Ukraine. Alors peut-être demain un « Russiagate » comme il y eut en son temps un « Irangate » sous l’administration Reagan, ou un « Watergate » au temps de Richard Nixon.
Ce ne serait pas la première fois au demeurant que les russes, ex-soviétiques, auraient compromis des personnalités de haut niveau, à l’exemple de Günter Guillaume, secrétaire particulier de Willy Brandt, alors chancelier d’Allemagne, en 1974. Déjà, dix ans plus tôt l’ambassadeur de France à Moscou, Maurice Dejean, avait dû rendre son tablier au Quai d’Orsay après avoir été pris la main dans la petite culotte d’une jolie poupée russe. Reçu par de Gaulle à l’Elysée, qui lui signifia sa mise à la retraite anticipée, il s’entendit dire par le général, qui ne plaisantait pas trop avec les frivolités sexuelles : « Alors, Dejean, on couche ? ».
Peut-être que demain, lors d’une conférence de presse un journaliste prenant son courage à deux mains osera poser la question qui fâche à Donald Trump : « Alors, monsieur le Président, on a couché ? ».
Jean-Yves Duval, journaliste écrivain.