Sur les écrans à partir de ce mercredi 5 novembre 2025, le dernier long métrage du réalisateur chilien Sebastián Lelio. Avec « La vague », il se lance dans une aventure formelle et inédite, utilisant le chant et la danse pour questionner les violences de genre et le patriarcat. Un film mené tambour battant.
Quand les mots manquent, quand la voix reste nouée dans la gorge, quand la rabia, la colère ronge, le chant peut être libérateur. Julia, étudiante en musique, a du mal à poser sa voix et à contrôler son souffle en cours de chant. Elle deviendra pourtant, à son corps défendant, la porte-parole d’une révolte d’étudiantes contre les violences sexuelles subies de la part d’enseignants, d’étudiants, en écho au mouvement féministe que connut le Chili en 2018 dans les universités, et qui déferla en tsunami. En mai 2018, pendant plusieurs semaines, les universités de plusieurs grandes villes du pays furent occupées par les étudiantes qui demandaient que des mesures soient prises contre les auteurs d’agressions sexuelles. L’étincelle qui mit le feu aux poudres fut deux cas de harcèlements sexuels de professeurs sur des étudiantes dans les universités de Valdivia et Santiago, dont les auteurs furent symboliquement sanctionnés.
On se souvient aussi que c’est au Chili qu’est né, quelques mois plus tard, le fameux flashmob qui essaima dans le monde entier : « El violador eres tú ».
L’idée du film est venue à Sebastián Lelio précisément au moment de ces manifestations de 2018. Lui qui a consacré depuis toute sa filmographie (tant au Chili que ses derniers longs métrages produits aux États-Unis ou en Irlande) à des portraits de femmes, a senti d’emblée qu’il y avait là un sujet. Car au-delà des violences sexuelles, le film questionne les fondements de toute une société conservatrice et patriarcale. Les inégalités sociales par exemple : Julia est d’un milieu modeste, peut-être que son silence peut être acheté pour qu’elle ne dénonce pas l’ami qui l’a violée ? Se pose aussi la question de la responsabilité des institutions : les jeunes filles sont accusées de délation, mais quel recours ont-elles quand l’université ou la police ne veulent ni entendre leur doléance ni agir ?
La Vague, c’est sept ans de gestation pour toute une équipe, essentiellement féminine (dans une scène du film Sebastian Lelio est lui-même interpellé : un homme est-il qualifié pour mettre en scène un film sur les violences de genre) avec des co-scénaristes connues qui viennent du théâtre expérimental comme Manuela Infante, de la télévision comme Josefina Fernandez ou encore Paloma Salas, comédienne et pionnière du stand-up au Chili. Pour la bande musicale, il a travaillé avec le fidèle Matthew Herbert et des chanteuses connues au Chili : Javiera Parra, l’héritière d’une longue dynastie, Ana Tijoux que l’on connaît bien aussi en France, ou encore Dadalu…
Les scènes de chants et de danses particulièrement réussies
C’était un défi de faire une comédie musicale et à double titre : d’abord parce que c’était une quasi première pour un film chilien et pour le réalisateur, et d’autre part sur un sujet aussi sensible. La musique et la danse permettent d’interroger, de faire réfléchir de façon plus « douce » et décalée. On retrouve là les questionnements de Sebastian Lelio dans tous ses films précédents : Gloria, Une femme fantastique ou The wonder. Les scènes de chant et de danse (façon haka) sont menées tambour battant et illustrent notamment les points d’acmé du drame. « Dans le film, chaque fois qu’il y a une scène musicale, il y a des scènes graves et puissantes, souvent quand les personnages sont au pied du mur », expliquait le réalisateur lors de la présentation du film au festival de Biarritz en septembre.
Certains personnages comme les trois « lénifiantes », certaines scènes oniriques ou effets de mise en scène avec des mises à distance sont quasi brechtiennes. Porté par de jeunes comédiens comme Daniela Lopez ou Lucas Saéz Collins, aux visages encore inconnus, épaulés par des piliers du cinéma d’auteur chilien comme Amparo Noguera ou Luis Dubó, le film est plus réussi dans sa deuxième partie, plus enlevée au niveau musical et chorégraphique, plus chorale aussi. La première, celle qui raconte le conflit intérieur de Julia — prendre ou pas la parole – est moins forte, d’autant que son personnage, excepté ses origines sociales, est peu caractérisé. Mais le film rappelle une séquence particulièrement intéressante de l’agitation sociale du Chili et le besoin vital des femmes de prendre la parole.

