D’où l’expression les grenouilles de bénitier ! L’élection du 267eme pape promet en effet, comme à chaque fois, une belle foire d’empoigne entre les 135 cardinaux, électeurs du successeur de Pierre. Dans leur grande sagesse, les pères de l’église ont interdit de scrutin les prélats âgés de plus de quatre-vingts ans, par crainte de sénilité sacerdotale. Une quinzaine d’entre eux figurent parmi les « papabilis » possibles, mais il en va ici comme pour la météo les prévisions sont souvent démenties par les faits, et les bookmakers londoniens risquent d’en être pour leurs frais.
L’esprit Saint présidera peut-être aux travaux du conclave, selon la formule consacrée, mais durant plusieurs jours le temporel va l’emporter sur le spirituel et ça va s’agiter dur du côté des soutanes pourpre pour choisir celui d’entre eux qui portera la mitre papale et la crosse de l’évêque de Rome. On élira certes un ecclésiastique mais avant tout un « politique » de la curie romaine. Je rêverais d’être une petite souris pour assister à ce spectacle unique au monde, mais qui dit conclave dit huit clos total et même les chats, en plus des gardes suisses sont mobilisés, jusqu’aux trous de serrure qui sont bouchés.
Ce n’est pas rien en effet de choisir, et d’élire, le commandeur des croyants de près d’1 milliard et 1/2 de catholiques sur la planète, et à l’arrivée il y aura forcément des déçus. Ça va négocier tous azimuts, et d’ores et déjà, comme au PMU les pronostics vont bon train, ça va au-delà d’un guide religieux c’est aussi un chef d’Etat qu’il convient de sélectionner, et cela va donner lieu à d’intenses tractations de couloirs, et de multiples messes basses, entre conservateurs et progressistes, modernes et anciens, entre européens et candidats du tiers-monde. La fumée blanche, ça se mérite !
A l’extérieur aussi, dans toutes les chancelleries du monde, on va guetter attentivement les résultats du vote, chacun se souvenant qu’un Pape, Jean-Paul II fut le héros de la chute du communisme en restaurant la force spirituelle de l’Europe de l’Est, il n’y eut pas que Mickhail Gorbatchev pour précipiter l’anéantissement du bloc soviétique. Aujourd’hui le maître de la Russie a restauré l’église orthodoxe que pourchassa en son temps le KGB dont il fût un zélé serviteur, pour un faire un outil à sa botte avec la complicité du patriarche de Moscou Cyrille, lui-même ancien membre du KGB.
C’est dire le rôle et l’importance de la religion dans la gestion des affaires du monde. La France a d’ailleurs deux ambassadeurs en Italie, un auprès du gouvernement italien qui réside au Palais Farnèse et l’autre auprès du Saint-Siège, car même si le Vatican est le plus petit Etat du monde avec seulement une superficie de 44 hectares et une population de quelques neuf cents habitants, son rayonnement dépasse largement les frontières italiennes.
Au demeurant dans la plupart des capitales il existe une nonciature, comme à Paris, où le nonce apostolique a rang d’ambassadeur. La diplomatie vaticane est d’ailleurs l’une des plus puissantes qui soit, grâce à son maillage territorial très dense sur les cinq continents, son réseau d’innombrables fidèles, de curés et d’évêques, et surtout ses archives uniques, vieilles de plus de deux mille ans, ce qui fait d’elle aussi un service de renseignement redoutable, à l’égal des meilleurs.
On comprend dans ces conditions que les chapeaux rouges vont s’activer à la manœuvre et que pour élire le premier berger du troupeau quelques coups machiavéliques ne sont pas exclus car les appétits de certains invités à la table du Seigneur sont grands.
Ce ne sont pas à de vieux cardinaux qu’on va apprendre à faire des grimaces même si les octogénaires ne participeront pas au vote dans la chapelle Sixtine.
Et quant à m’avancer sur le nom du successeur de François, je m’en garderai bien, ne dit-on pas que les voix du Seigneur sont impénétrables ?
Jean-Yves Duval journaliste écrivain