Dans mon bloc-notes de la semaine j’aurais pu évoquer l’intervention lénifiante et auto-suffisante d’Emmanuel Macron, mardi soir sur TF1, où pendant près de trois heures il n’a cessé de glorifier ses huit années passées à l’Elysée, sans jamais reconnaître la moindre erreur, et pire, ne présentant aucun objectif pour le présent et ne tirant aucune perspective d’avenir pour les deux prochaines années. J’aurais pu aussi revenir sur l’audition-inquisition de François Bayrou par la commission d’enquête parlementaire au sujet des violences sexuelles dans l’affaire Bétharram, avec dans le rôle de Fouquier-Tinville le rapporteur LFI Paul Vannier. Sous la période de la Terreur, en 1793, celui-ci aurait fait des merveilles. J’aurais pu aussi parler de la rencontre, jeudi à Istambul, en Turquie, en présence de Récep Erdogan, des négociateurs d’Ukraine et de Russie, et ce message de Léon XIV » aucune guerre n’est inéluctable ». J’aurais pu enfin retenir l’ouverture du Festival de Cannes, la présence des stars sur la croisette et l’ouverture officiel avec Juliette Binoche la présidente, la tête couverte d’un voile, en hommage aux palestiniennes, oubliant qu’en Afghanistan, en Iran et ailleurs des femmes sont emprisonnées pour avoir refusé précisément de porter ce signe religieux. Au lieu de tout cela, j’ai préféré m’arrêter sur deux informations passées presque inaperçues dans l’actualité car elles nous interpellent toutes et tous.
La première est la proposition de loi déposée par Gabriel Attal et le groupe EPR visant à élever Alfred Dreyfus (1859-1935) au grade de général de brigade à titre posthume. Cette proposition sera discutée à l’Assemblée nationale le 2 juin prochain.
A l’heure où les signes d’antisémitisme se multiplient dans notre pays il s’agit là d’un geste symbolique fort adressé à l’opinion publique, en même temps qu’un acte de réparation posthume envers cet officier français accusé, humilié et condamné à tort parce que juif. Rappelons qu’il a été radié des cadres de l’armée, emprisonné et exilé sur l’île du Diable. Le 13 juillet 1906, l’officier a été cependant réhabilité par la Cour de cassation qui a réintégré Dreyfus au sein de l’armée, mais sa carrière a été considérablement freinée. Or, ce grade de général, il l’aurait obtenu sans l’ignoble machination dont il a été victime. L’élever à ce grade réparerait l’indignité dont il a fait l’objet et honorerait la République. Pour ceux qui l’ignorent il n’est pas inutile de rappeler que le capitaine Dreyfus a été accusé d’avoir livré des documents secrets à l’Allemagne, alors qu’on a appris plus tard que le traître était le commandant Ferdinand Esterhazy, fait reconnu par le colonel Georges Piquart, chef du service des renseignements militaires. Cette affaire avait donné lieu au célèbre cri de l’écrivain Emile Zola « J’accuse … » publié dans le journal l’Aurore, fondé par Clémenceau, du 13 janvier 1898
A l’occasion d’un reportage que j’ai effectué dans les années 1990-2000 en Guyane, lors du lancement d’une fusée Ariane sur le pas de tir de Kourou, j’ai eu l’occasion, en même temps qu’une visite de vestiges de l’ancien bagne de Cayenne, de découvrir l’île du Diable, cet ilot rocheux, où a été envoyé le capitaine Dreyfus pour purger sa peine. L’endroit est des plus inhospitaliers, à croire qu’on l’avait emprisonné dans un tel endroit par crainte d’une contamination de sa judéité. Son seul voisinage était en effet les requins, dont les eaux sont infestées, et il était approvisionné par un ingénieux système de poulie depuis l’île Royale voisine, les forts courants interdisant tout accostage. Il a vécu sur cette île un calvaire, le quotidien d’un mort en sursis.
Aujourd’hui, lui attribuer deux étoiles ne ferait que reconnaître, pour ses descendants, l’injustice dont il a été victime et par ce geste, l’État qui a déjà reconnu sa culpabilité assumerait ses responsabilités. En cela, ces deux étoiles scintilleraient sur la dépouille du capitaine.
J’ai intitulé la deuxième information : Murielle Robin, 30 ans sous l’emprise de l’alcool
Il y a quelque chose de terrible d’apprendre de la bouche même d’une vedette du show-biz, humoriste très populaire, qui a rempli des dizaines de Zénith au cours de sa carrière, les ravages de l’alcool. Murielle Robin est à la fois drôle et subtile, et il suffit de la voir apparaître sur scène pour déjà avoir envie d’éclater de rire. Ses mimiques nous ravissent autant que ses propos et ses répliques et font le succès de ses spectacles, qu’il s’agisse d’une comédie théâtrale ou d’un one-woman-show. Apprendre qu’elle a été addicte à l’alcool durant trente ans a quelque chose de pathétique et de terrible car il ne s’agissait pas d’un alcoolisme mondain, mais d’une dépendance qui transforme une personne en esclave de la bouteille.
Murielle Robin se souvient de ces années, où elle a traversé l’enfer lorsqu’elle buvait comme un trou : « Un homme qui boit, c’est un bon vivant, une femme qui boit c’est une pochtronne ». Ce qui a sans doute encore ajouté à sa souffrance morale.
On est d’autant plus ému et révolté lorsqu’elle nous révèle que cette addiction à l’alcool résulte d’un viol qu’elle a subi enfant, à l’âge de dix ans. Quand l’ignoble débouche sur le désespoir. On ne nait pas alcoolique et on ne le devient pas sans raison, la consommation exagérée de boissons fortes cache souvent une profonde détresse, une grande solitude. La bouteille de whisky est un cache-misère pour des milliers de personnes qui vivent dans un brouillard permanent, et dont elle est le seul refuge.
Oui, Murielle Robin nous fait rire, comme seuls savent le faire les clowns tristes, et sa performance est d’autant plus exceptionnelle et admirable que ce rire lui a permis, durant des décennies, de dissimuler une blessure secrète terrible, une plaie qui ne se refermera jamais. Chapeau l’artiste ! Et merci à elle pour cet aveu poignant, plein d’humilité et de courage qui force le respect. Nous ne l’aimerons que davantage.
Alfred Dreyfus et Murielle Robin, les deux destins tragiques d’un homme et d’une femme, le premier victime de la trahison et la seconde de ses démons.
Jean-Yves Duval, journaliste écrivain