Plus loin avec… Mamadou Ibra Kane Cdeps : « Il n’y aura pas de liberté de la presse au Sénégal tant que…»

Le président du Conseil des Diffuseurs et Éditeurs de Presse du Sénégal (Cdeps), Mamadou Ibra Kane a assisté, ce vendredi 2 mai 2025, à la publication du classement 2025 de Reporters sans frontières (RSF) qui classe le Sénégal 74e. Si les nouvelles autorités jubilent, le chef du patronat de la presse rappelle à RSF que la presse n’a jamais été aussi malmenée. Entretien !
 
Reporters Sans Frontières (RSF) vient de publier son classement de 2025 sur la liberté de presse et le Sénégal gagne 20 places malgré un contexte tendu marqué par la fermeture de certains médias, des arrestations de journalistes et des contrôles fiscaux accrus. Quelle est votre réaction?
 
Oui, Reporters sans frontières (RSF) a fait un classement où le Sénégal est classé 74ème par rapport à l’année précédente où le Sénégal avait 20 places de plus (94e). Il faut dire que la situation politique au Sénégal était extrêmement tendue en 2024. Nous avons vécu notamment les événements dramatiques de février à mars 2024, il y a eu beaucoup de médias qui ont été fermés de manière arbitraire. La coupure de signal des télévisions, WALF TV, SEN TV, ZIK-FM, beaucoup d’arrestations de journalistes, beaucoup d’emprisonnements de journalistes et un harcèlement des journalistes sur le terrain qui ont même subi des violences physiques et autres.
 
La situation de l’année dernière était exceptionnelle. Si le Sénégal a gagné 20 places, ce n’est pas pour autant que la liberté de la presse n’a pas été malmenée à partir d’avril 2024 à aujourd’hui. C’est devenu plus insidieux en ce sens qu’aujourd’hui le nouveau régime continue les interpellations de journalistes, les convocations de journalistes, mais surtout le nouveau régime utilise d’autres armes comme la pression fiscale, l’asphyxie économique.
 
Par exemple, aujourd’hui le gouvernement du Sénégal doit beaucoup d’argent aux entreprises de presse et refuse de les payer. Le gouvernement du Sénégal bloque l’aide à la presse qui a été déjà votée dans le budget 2024 et jusqu’à présent aucune aide n’a été distribuée aux entreprises de presse. Le gouvernement du Sénégal a demandé à tous les démembrements de l’État, les ministères, les sociétés nationales, les agences nationales, de résilier de manière unilatérale les contrats de publicité.
 
Donc, il y a comme une volonté expressément affirmée d’un point de vue fiscal, d’un point de vue économique, de réprimer la presse privée au Sénégal. Maintenant, il s’y ajoute récemment la négation juridique de l’existence même des médias et cette situation-là est vraiment regrettable. Le Sénégal n’a pas besoin de cela et nous pensons que nous devons lutter pour réaffirmer la liberté de la presse.
 
Vous êtes contre le processus d’assainissement de la presse ou c’est la démarche de la tutelle que vous n’appréciez pas ?  
 
Vous savez, c’est nous-mêmes, lors de l’élaboration du projet de Code de la presse, qui avons demandé l’assainissement du secteur de la presse. Premièrement, par rapport à l’accès à la profession de journalistes et de techniciens des médias par la délivrance d’une carte nationale.
 
Donc vous n’êtes pas contre le principe ?
Non ! Nous ne sommes pas contre. Nous avons même milité pour cela. C’est nous qui avons été à la base de ces amendements-là du projet de Code de la presse en septembre 2009.
 
Et donc, le deuxième aspect, à part l’accès à la profession pour les journalistes et techniciens des médias, nous avons demandé que l’on introduise un nouveau concept dans l’arsenal juridique sénégalais, à savoir l’entreprise de presse.
 
Avant, c’était simplement ‘’organes de presse’’, parce que les enjeux économiques étaient importants pour que ce secteur-là puisse être régularisé.
 
Aujourd’hui, le nouveau gouvernement, depuis un an qu’il est en place, tente à travers la régularisation du secteur de la presse, de réprimer les médias au Sénégal en ce sens que le ministre de la Communication se donne aujourd’hui le droit d’autoriser ou de ne pas autoriser l’exercice de la profession de journaliste, et la création de médias au Sénégal. C’est ce que nous condamnons et nous pensons que c’est liberticide. C’est en violation de la constitution du Sénégal et tous les articles du code de la presse n’ont en aucun cas fait de la nécessité d’autorisation par le ministre de la Communication des médias au Sénégal.
 
Quelle devrait être la démarche appropriée selon vous ?
 
Nous sommes dans un pays sous-développé, très sous-développé. Le Sénégal, 90% de son économie est informelle.
 
Aujourd’hui, que ce soit le secteur de la presse, que ce soit le secteur du bâtiment, vous avez vu les bâtiments qui s’effondrent là parce que les dalles ont été mal faites. Est-ce qu’on a fermé les entreprises du bâtiment ? Est-ce qu’on a sanctionné ceux qui ont créé ces désastres-là ? La même chose dans le transport. Combien de centaines de morts nous enregistrons sur nos routes, chaque fois par l’état des routes, les responsabilités des chauffeurs, etc. Et pourtant, les entreprises de transport continuent d’exister.
 
C’est la constitution du Sénégal qui garantit la liberté d’entreprendre. Mais s’il y a un fautif dans un secteur donné, c’est au tribunal de juger et de sanctionner les personnes qui sont en cause. Et non pas la volonté d’une autorité politique, en l’occurrence l’autorité du parti au pouvoir, de dire qui a le droit d’être médiat au Sénégal ou de ne pas être médiat au Sénégal.
 
Au même moment aussi, vous demandez une dépénalisation des délits de presse. Vous ne trouvez pas que c’est un peu contradictoire ?
 
Non, ce n’est pas contradictoire. Vous savez, aujourd’hui, la plupart des arrestations, des condamnations et des emprisonnements de journalistes, c’est uniquement du fait de deux délits : la diffusion de fausses nouvelles et la diffamation. Nous pensons qu’il nous faut alléger la répression liée aux délits de presse. Maintenant la forme que cela va revêtir, cela dépend des États.
 
Mais, encore une fois, le principal problème que nous avons aujourd’hui avec le nouveau régime de la troisième alternance politique, c’est que ce régime-là veut dire qui peut être journaliste au Sénégal, qui peut être médias au Sénégal ou non. Et cela, c’est une question fondamentale. Tant que nous ne la réglons pas, il n’y aura pas de liberté de la presse ici, au Sénégal.
Par: Thiebeu Ndiaye Seneweb