« Les Etats n’ont pas d’amis, seulement des intérêts » disait de Gaulle. La justesse de ce propos vient de nous être démontrée par Donald Trump, le Frankenstein narcissique président américain qui, au-delà de son attitude mercantile, a aussi volé à Ronald Reagan son célèbre slogan électoral « Make America Great Again ». Désormais nous voici avertis, nous n’avons plus rien à attendre des Etats-Unis qui viennent d’opérer brusquement un retournement d’alliances spectaculaire.
Trump a en effet rompu, de facto, avec l’ordre international qui gouvernait le monde depuis la seconde guerre mondiale. Il a rejoint le camp des despotes qui s’assoient allègrement sur l’égalité souveraine des Etats, les droits de l’homme et la démocratie libérale, des valeurs qui, hier encore, faisaient la fierté et l’originalité de l’occident. Le clash, le 28 février dans le bureau ovale de la Maison Blanche n’était qu’un avant-goût de ce qui nous attendait. Cet homme, comme son homologue, Vladimir Poutine, ne croit qu’au rapport de force, c’est d’ailleurs pour cela qu’il s’entend si bien avec le dictateur du Kremlin. Sans doute espère-t-il qu’en sacrifiant l’Ukraine il parviendra à casser l’entente cordiale entre Moscou et Pékin, ce qui ferait bien ses affaires en cas de conflit avec la Chine, à propos de Taïwan. Et s’il se trumpait ? Je doute d’ailleurs, chaque jour un peu plus, qu’il protégera l’île si celle-ci vient à être attaquée par l’armée populaire chinoise. Le Japon et la Corée du sud sont d’ailleurs très inquiets de cet isolationnisme américain, de cette alliance contre nature, ce mariage de la carpe et du lapin russo-américain, dont ils risquent, eux aussi, d’être les victimes.
S’agissant de l’Europe, son sort est déjà scellé avec sa menace de se retirer de l’OTAN et l’opinion qu’il a, que l’Union européenne a été fondée par des personnages pour « entuber » l’Amérique. Nous voici désormais livrés à nous-mêmes et nous devons nous préparer au scénario du pire. Un homme, en France, a eu le courage de comparer Donald Trump à « l’empereur incendiaire » Néron, flanqué d’un « bouffon sous kétamine », entendez par là Elon Musk. Il s’agit de Claude Malhuret,le sénateur de l’Allier. Ce clin d’œil historique nous rappelle qu’en 63 avant notre ère Rome était aussi en proie eux ambitions d’un patricien, déjà populiste, Catilina, qui tenta de renverser le pouvoir en place et n’hésita pas pour cela à s’allier avec les ennemis des romains, à savoir les gaulois, comme Trump le fait aujourd’hui en mangeant dans la main des russes.
En parlant directement, haut et fort, comme il l’a fait Malhuret avait des faux airs de Cicéron. A l’heure où tout le monde se couche, il est réconfortant de voir quelqu’un relever la tête.
En faisant imploser l’OTAN et l’occident, en trahissant ses alliés historiques, Trump réalise ce que tous les dirigeants russes depuis Staline ont rêvé en vain, donnant ainsi raison à Charles Péguy pour qui « le triomphe des démagogies est passager. Mais les ruines sont éternelles ». Dans ces conditions, force est de nous satisfaire d’un lot de consolation avec ce sondage réalisé aux USA qui nous apprend que 54% des électeurs pensent qu’Elon Musk nuit à son pays, et cette bonne nouvelle que le cours de l’action Tesla a été divisé par deux, que les ventes de sa voiture électrique chutent radicalement et que les actes de vandalisme dans les showroom de la marque se multiplient un peu partout dans le monde. Dans les périodes difficiles, faute de grives, on mange des merles.
Et tandis que Trump et Poutine, se partagent l’Ukraine, sur le dos du peuple ukrainien qui n’a pas voix au chapitre, pas plus que l’Europe d’ailleurs, (une humiliation supplémentaire pour la première puissance économique mondiale) on peut assister à ce dialogue surréaliste : A moi la centrale nucléaire de Zaporijjia, à toi les oblasts de l’Est, à moi les terres rares, à toi la Crimée, etc. le trumpo-poutiniste ne cache pas sa prochaine victime, le Groenland, territoire Danois, allié de l’OTAN, pour en faire le 51ème Etat américain. Sans oublier sa menace de s’emparer par la force du canal de Panama et son ambition d’annexer le Canada ! On assiste à un retour à l’esprit de conquête d’une puissance expansionniste, la loi du plus fort l’emportant sur la voix de la diplomatie.
Le chasseur d’ours Poutine a tendu son piège et est en voie de retourner à son avantage les propositions de paix du golfeur Donald Trump, sa stratégie pour étendre sa zone d’influence dans l’Est de l’Europe et reconstituer les défunts empires tsaristes et soviétiques, malgré une économie Potemkine, est en passe de réussir. Entre les deux mafieux, Trump qui étale ses cartes et Poutine qui cache bien son jeu, apparaissent sous nos yeux les contours d’un nouveau Yalta, au détriment de la démocratie et peut-être demain de la liberté des peuples, européens que les deux hommes méprisent souverainement.
Jean-Yves Duval, journaliste écrivain