Il y a une expression anglaise que j’aime beaucoup : « Never judge a book by its cover », que l’on peut grossièrement traduire par « Il ne faut jamais juger un livre à sa couverture ». Certes il ne faut pas se laisser séduire par les faux-semblants, et métaphoriquement parlant, cette expression est très juste. Toutefois, je remarque que si on la prend au pied de la lettre, cette expression est tout à fait fausse. Bien sûr que l’on juge les livres d’après leurs couvertures ! C’est d’ailleurs comme ça que la majorité des lecteurs choisissent leurs livres !
Le cas pratique
Je me promène dans une librairie que j’aime bien, il y a plein de livres partout. Ils sont classés par genres, les nouveautés et les coups de cœur du libraire en tête de gondole, et au fil de ma promenade, je m’arrête ici ou là pour regarder les livres de plus près. J’en retourne certains pour lire le résumé de la quatrième de couverture. Certains même je les ouvre au hasard pour lire un extrait et me donner une idée du style de l’écriture, de sa qualité… Mais au départ, ce qui fait que mon œil s’arrête sur tel ou tel livre tient à une seule chose : la couverture.
Avant même de remarquer un titre, c’est mécanique et biologique, on remarque la couverture d’un livre : sa couleur, ses motifs ou la photo qui sert de couverture. Vous allez même remarquer la typograhie avant de saisir le sens des mots du titre. Certains diront peut-être qu’ils remarquent le titre d’un livre avant de s’attacher à la couverture. C’est faux. Nous ne nous en rendons pas toujours compte, mais c’est comme ça : l’œil humain perçoit d’abord les formes et les couleurs, et le texte ne vient qu’en seconde position. Donc, même si vous soutenez le contraire, votre œil voit les choses avant que votre cerveau analyse l’information. Et ce qui va faire que vous allez remarquer effectivement un titre, c’est que d’abord votre œil aura été attiré par la couverture du livre en question.
Concrètement, ça veut dire quoi ?
La conclusion de ce paramétrage biologique dont nous sommes tous victimes, c’est que face à une multitude de couvertures, notre œil va être attiré par des critères bien précis, des informations qui nous « sautent aux yeux » littéralement, c’est-à-dire des informations faciles à traiter rapidement. En premier, on remarque toujours les couleurs qui tranchent : des couleurs très vives ou au contraire très sombres. De la même manière, nous remarquons très rapidement les redondances esthétiques : si on vous présente plusieurs livres sur une table, avec au beau milieu une série de trois ou quatre livres qui ont des couvertures identiques (disons des Gallimard car ils se ressemblent tous), ce sont ces livres là que vous allez regarder en premier. Votre œil sera d’abord attiré par eux.
Ensuite, très rapidement, notre œil se focalise sur les détails à traiter : nous lisons le texte et nous regardons l’image s’il y en a une. L’importance de l’esthétique ne correspond donc pas à une intention de « plaire » mais plutôt de « se faire voir ». Tout l’enjeu pour les maisons d’édition, c’est de trouver LA couverture que l’on va remarquer. Car en librairie comme en grande surface, et même aussi sur internet, le visuel est vendeur !
Mais alors : la couverture, est-ce que ça fait tout ?
Il faut admettre que malgré le mal que se donnent les gens chargés du marketing dans les maisons d’édition, l’art de la couverture n’est pas une science exacte. Et ce n’est pas forcément parce qu’un livre a une belle couverture qu’il va bien se vendre. Cependant, si un livre dispose d’une couverture efficace (c’est-à-dire une couverture qui se remarque bien et se dégage du lot), alors il risque d’attirer un peu mieux le chaland que les autres livres aux couvertures ternes.
Mais comme je le disais plus haut dans le cas pratique, le lecteur potentiel ne s’arrête pas à la couverture. Si un livre arrête votre attention, vous allez vous en saisir et le manipuler, lire le résumé voire l’ouvrir et lire un extrait au petit bonheur la chance. Il vous faut un complément d’information avant de décider d’acheter un livre ou non. Et même si la couverture peut vous donner un a priori favorable sur un livre, elle ne peut pas être le seul argument sur lequel reposera votre décision d’achat. En tout cas, je ne connais personne qui achète ses livres juste sur leurs couvertures !
Même si nous pouvons, en tant que lecteurs, nous faire duper et séduire par les sirènes du marketing, il faut bien dire que ce qui importe à la fin, ça reste le texte lui-même. Si un livre est de bonne qualité, une mauvaise couverture ne freinera pas ses lecteurs. Mais d’un autre côté, un bon livre mal marketé risque d’avoir bien du mal à trouver son public. Car il y a tellement de livres qui sont publiés tous les mois qu’il faut bien faire un effort pour sortir du lot.
Ne pas sous-estimer la maniaquerie des lecteurs… ou l’ego des éditeurs !
Dans la récente étude que le Centre National du Livre a rendue publique ce mois-ci et qui traitait des habitudes de lecture des Français, les analystes soulignaient le faible taux de lecteurs abonnés à des bibliothèques. Et la raison principale que les lecteurs donnaient pour expliquer le fait qu’ils n’empruntent pas ou peu de livres, c’était tout simplement qu’ils préféraient posséder le livre chez eux. Il existe un vrai sentiment d’appartenance à l’égard des livres. Et cela relève même je crois de l’esprit de collection. Nous, lecteurs, aimons contempler nos livres comme un pirate contemple son trésor. Nous accordons souvent une importance à l’esthétique de l’ensemble. Par exemple, si on possède plusieurs tomes d’une même saga, nous préférons que tous les tomes se ressemblent : c’est plus joli d’avoir des couvertures et des tranches cohérentes. Et à choisir entre de beaux brochés et de bêtes livres de poche, ce sont les brochés qui ont toutes les chances d’être rangés à hauteur des yeux, tandis que les livres de poche risquent de se retrouver exilés sur les étagères du haut, les placards du bas ou que sais-je encore ! C’est normal : l’être humain est sensible à la dimension esthétique.
Le seul contre-exemple connu, ce sont les éditions Gallimard. Voilà une maison qui dès le début a privilégié une couverture neutre, toujours bâtie sur le même principe du beige à liseré rouge, sans photo, sans visuel, sans fioritures. Au début du XXe siècle, lorsque la maison a commencé à exister, tout le monde faisait à peu près pareil. Mais au fil du temps et des progrès de l’imprimerie moderne, on a commencé à voir fleurir des couvertures en couleurs avec des photos. Gallimard ne s’est jamais aligné sur ses concurrents, préférant garder son ADN avec sa couverture qui lui est propre. Et le résultat, c’est qu’aujourd’hui tout le monde est capable de discerner et de reconnaître une couverture de la maison Gallimard. Leur conservatisme esthétique, leur austérité visuelle sont devenus leur marque de fabrique et un repère pour les lecteurs. Un tour de force à contre-courant de la mode qui a permis de forger leur identité. Comme quoi, il y a de nombreux enjeux derrière le choix d’une couverture !
Et donc, la morale…
S’il m’arrive très souvent de m’arrêter sur un livre à cause de sa couverture attirante, je dois dire que ça ne me le fait pas acheter pour autant. Mais en tout cas, cela attise ma curiosité. A contrario, j’ai déjà acheté des livres dont je trouvais la couverture absolument hideuse ! Ce qui compte après tout, c’est le texte. Mais, même si nous ne sommes pas forcément prêts à l’admettre, l’esthétique d’une couverture compte beaucoup. Car pour les amoureux du livre papier, la dimension d’objet du livre demeure quelque chose d’important, relevant du registre émotionnel, et révélant dans notre rapport au livre une infinie tendresse pour cet assemblage de feuilles de papier. Les belles couvertures ne font pas les beaux livres, mais elles entretiennent le plaisir de la séduction littéraire.