Docteure en philosophie politique, Joëlle Zask défend une culture de l’autogouvernement dans Participer. Essai sur les formes démocratiques de la participation (Le Bord de l’eau, 2011), bien avant Nuit debout, qui servira de point de départ à un autre de ses livres sur le sujet, Quand la place devient publique (Le Bord de l’eau, 2018). « Comment un mouvement qui défend la démocratie peut-il se retrouver captif d’une forme urbaine aussi autoritaire, inappropriée, inadéquate que la place de la République ?, questionne-t-elle. Je suis partie de l’expérience d’être rejetée par cet espace alors sans assises, où nous subissions un bombardement météorologique. Il pleuvait, il faisait froid… L’absence de déclivité du plateau ne permettait pas aux manifestants de voir arriver les casseurs et les CRS. Quant à la position centrale de la statue, esthétiquement douteuse, elle rejoue un dispositif monarchiste, impérial, fasciste ! »
Dans son esprit, citoyen ne rime pas qu’avec citadin. La culture démocratique a aussi un rapport avec l’agriculture, travail manuel qui n’est pas fait que de sueur mais requiert des capacités de dialogue, d’attention, d’anticipation, de coopération… C’est le thème de son livre La Démocratie aux champs (La Découverte, 2016). « En liant démocratie et ruralité, elle fait entendre une voix nouvelle sur les questions politiques qui va à l’encontre de l’idée reçue associant la démocratie à la ville », pointe sa consœur Catherine Larrère, spécialiste de philosophie morale et politique.
« FRANC-TIREUR »
Ce livre, Joëlle Zask l’a d’abord écrit en pensant à son grand-père, un paysan juif polonais, et en souvenir de son enfance passée à élever des grillons dans un petit village du Jura et à se promener dans les bois alentour escortée par son chien. « C’est une célébration de mes origines paysannes. J’avais un sentiment de scandale vis-à-vis du mépris dans lequel sont tenus ceux qui cultivent la terre », confie-t-elle. « Ce que je trouve très puissant, c’est son idée que la démocratie est une activité sociale, qu’elle s’arrime à la prise de responsabilité au quotidien, souligne le sociologue Loïc Blondiaux. Elle insiste sur la capacité des individus à agir sur leur destin et leur environnement. Sans qu’elle l’ait théorisé, cette démocratie du geste, du faire, permet d’éclairer des expériences comme les ZAD. »
Joëlle Zask évite ainsi de s’enferrer dans le catastrophisme. « Il y a une positivité dans l’action. On peut trouver dans le réel des ressources d’innovations gestuelles ou perceptives pour améliorer le monde », suggère-t-elle. Si elle ne va pas elle-même entretenir les forêts ou réaménager les villes, ses livres sont sa manière de passer à l’action. « Ce qui m’intéresse, c’est de rendre sensible des problèmes – je dis bien “sensible” et non “visible”, car le citoyen n’est pas un spectateur », insiste-t-elle. Face aux feux géants induits par le réchauffement climatique ou à l’hypothèse d’une invasion des bêtes sauvages dans les villes, elle offre des solutions qui font la part belle au savoir des apiculteurs, des forestiers, des pompiers, des paysans, des urbanistes…
Ses enquêtes sont peuplées de toutes ces voix. Dans le monde universitaire, elle est pourtant très solitaire. « Dans le milieu philosophique, c’est un franc-tireur. Elle ne travaille pas avec d’autres pragmatistes, sa démarche est très personnelle », affirme Catherine Larrère. « Elle n’a pas vraiment de réseau », abonde Loïc Blondiaux. L’intéressée le reconnaît volontiers : « Je n’ai pas fait école ; ma classe, c’est la société. » Quand on lui demande qui sont les chercheurs qui l’inspirent, c’est la litanie des morts. Son directeur de thèse, Philippe Soulez, avec qui elle avait « une relation très forte », son ancien collègue à l’université de Provence Jean-Pierre Cometti, le sociologue Isaac Joseph… « Il y a un vide autour de moi », souffle-t-elle. Serait-elle devenue un peu sauvage ? Au sens de « féroce », certainement pas. Mais la définition qu’elle donne à ce mot lui correspond davantage : « Je me démarque des deux sens habituels : d’un côté, la sauvagerie comme cruauté, de l’autre, la nature vierge et idéalisée. Pour moi, le sauvage renvoie à l’imprévisible. Réaliser sa personnalité et son individualité, sa faculté d’être vivant, c’est suivre des chemins qui ne sont pas prévus d’avance. Nous ne sommes pas des machines ! » Dans Zoocities, elle plaide pour une ville qui ferait une place à cet « ensauvagement » qui n’a rien d’effrayant.
Marion Rousset
Joëlle Zask, née en 1960, est une philosophe française, traductrice, spécialiste de philosophie politique et du pragmatisme, maître de conférences à l’Université d’Aix-Marseille. Elle est l’une des premières à penser la démocratie participative. Professeure au département de philosophie de l’université Aix-Marseille, Joëlle Zask étudie le pragmatisme et les enjeux politiques des théories de l’art et de la culture. Elle est l’auteure de traductions de John Dewey et de divers ouvrages, dont les plus récents sont : Participer. Essais sur les formes démocratiques de la participation (Le Bord de l’eau, 2011) et Outdoor Art. La sculpture et ses lieux (La Découverte, « Les Empêcheurs de penser en rond », 2013).
Elle consacre sa thèse au philosophe et psychologue John Dewey. Elle traduit ses ouvrages les plus importants rendant accessibles ses travaux en France.
Elle publie ensuite plusieurs ouvrages concernant les formes démocratiques de la participation. C’est une pionnière de la démocratie participative. Elle dit « on imaginait que la démocratie devait reposer sur des experts et qu’on pouvait mettre entre parenthèses l’opinion publique, qui était très décriée ». Dans les années 1990, elle introduit en France des outils pour expérimenter la démocratie participative. En 2011, elle publie Participer. Essai sur les formes démocratiques de la participation, bien avant le mouvement Nuit debout. La démocratie participative peut être citadine ou rurale.
Elle travaille ensuite sur les enjeux politiques des pratiques artistiques contemporaines ainsi que sur les questions liées à la crise écologique. Son essai Quand la forêt brûle. Penser la nouvelle catastrophe écologique, publié en 2019, est remarqué pour la qualité de son analyse sur la responsabilité humaine dans les mégafeux, quand « l’anthropocène se révèle pyrocène » même s’il lui est parfois reproché son manque de propositions concrètes.
OUVRAGES PERSONNELS
- L’Opinion publique et son double ; Livre I : L’opinion sondée ; Livre II : John Dewey, philosophe du public, Paris, L’Harmattan, 2000
- Art et démocratie : Les peuples de l’art, Paris, Presses universitaires de France, 2003, 220 p.
- Participer : essai sur les formes démocratiques de la participation, Paris, Le Bord de l’eau, 2011, 326 p.
- Outdoor Art. La sculpture et ses lieux, Paris, La Découverte, 2013
- Introduction à John Dewey, Paris, La Découverte/Repère, 2015
- La Démocratie aux champs, Paris, La Découverte, 2016
- Quand la place devient publique, Le Bord de l’eau, 2018
- Quand la forêt brûle. Penser la nouvelle catastrophe écologique, Paris, Premier Parallèle, 2019 , prix Pétrarque de l’essai 2020
- Zoocities. Des animaux sauvages dans la ville, Paris, Premier Parallèle, 2020
CONTRIBUTION DANS UN OUVRAGE COLLECTIF
- Anne-Marie Drouin-Hans, Philosophie de l’éducation : itinéraires américains, Paris, L’Harmattan, 2012