Aux Etats-Unis les tueries de masse se suivent et se ressemblent. A croire que ce pays est frappé d’un mal chronique consécutif à son addiction aux armes et c’est avec une régularité de métronome que des fusillades ont lieu d’un bout à l’autre du pays sur des campus universitaires, dans des écoles (plus d’une trentaine depuis le début de l’année) ou dans des centres commerciaux, comme cela a été encore le cas au cours du week-end.
Certaines de ses fusillades sont l’œuvre de déséquilibrés mentaux, d’autres de criminels ultra-violents, d’autres encore d’individus animés par une idéologie raciste comme on a pu le voir à El Paso au Texas où il y a eu vingt morts. Ces meurtres sont commis par des adultes mais aussi des adolescents et chaque année le bilan s’alourdit au point de dépasser les quinze mille victimes, et parmi elles beaucoup de jeunes. Inacceptable, insoutenable !
Le lobbying influent de la NRA
Le record du nombre d’armes par habitant explique bien sûr en partie ce fléau et de ce point de vue l’intense lobbying mené par la NRA (National Rifle Association) et ses six millions d’adhérents (et qui dépense chaque année plusieurs dizaines de millions de dollars pour s’assurer qu’aucune loi n’impose un contrôle plus strict sur les armes ne soit votée) est une catastrophe. Des millions d’armes sont ainsi en libre circulation, y compris certaines armes de guerre, et il n’est pas rare qu’un foyer américain dispose chez lui d’un véritable arsenal fait d’armes de poing et de tir. Ce qui fait les beaux jours de l’industrie de l’armement ce qui au pays du dollar-roi n’est pas sans importance. Certaines voix prétendent aussi qu’au nom de la liberté on ne doit pas légiférer sur un tel sujet, quelle liberté ? Celle de tuer des innocents ? Celle de se croiser les bras en voyant tomber des enfants et des femmes sous les balles assassines de kalachnikov ? Celle de fermer les yeux face aux scènes sanglantes qui se multiplient à l’infini sur nos téléviseurs ? Prétexter la liberté à ce niveau est une manœuvre dilatoire qui a pour but de mystifier l’opinion publique. La liberté n’est-elle pas plutôt celle qui devrait permettre à chacun de circuler librement, en sécurité, dans les rues, les écoles et sur les parkings, sans risquer d’être pris pour cible par un tireur fou et en autorisant les seules forces de l’ordre à détenir une arme et en faire usage légitimement et légalement.
Le 2ème amendement de la constitution
Rappelons que le deuxième amendement de la constitution américaine de 1791 garantit à chaque citoyen américain le droit de détenir, et parfois de porter librement des armes. Et à chaque fois que des voix s’élèvent pour limiter la détention et le port d’armes on assiste au pays de l’Oncle Sam à une véritable levée de boucliers au nom de l’histoire qui a façonné l’Amérique en particulier l’époque du Far-West et ses héros légendaires. Ce phénomène est présenté comme culturel et inscrit dans les gènes des américains. Donc on n’y touche pas, cela relève quasiment du sacré.
En France, dès 1686 Richelieu interdit les duels qui déciment la noblesse
L’histoire à cependant bon dos car à ce compte-là pourquoi en France – pays de cape et d’épée – le cardinal de Richelieu a-t-il cru bon d’interdire les duels le 6 février 1626 ? Sur la base d’un constat tragique, à savoir quelques dix mille nobles tués entre 1588 et 1608, en une seule vingtaine d’années, plus que certaines batailles.
Le vrai courage politique
Invoquer la tradition est donc une mauvaise excuse. C’est surtout une posture électorale car tout candidat à une élection présidentielle connaît l’influence de la NRA et son importance en terme de bulletins de vote. Mais le vrai courage n’est-il pas au nom du bien commun et le l’intérêt général, à savoir la protection des populations, de savoir aller à contre-courant d’une majorité d’idées comme le fit un certain François Miterrand en1981 en abolissant la peine de mort ? Combien faudra-t-il de victimes innocentes supplémentaires pour que l’Amérique exorcise ses vieux démons ? Et surtout quel président osera prendre une telle mesure ? Surement pas Donald Trump, soutien affiché de la NRA, qui par ses propos incendiaires souffle sur les braises populistes et xénophobes et nourrit les tensions dans le pays. En cas de réélection à la Maison Blanche le 3 novembre 2020 il faudra donc accepter pour plusieurs années encore que la loi de la poudre prime sur la raison. L’Amérique décidemment est bien un colosse aux pieds d’argile.
Jean-Yves Duval, directeur d’Ichrono