Est de la RDC: malgré la signature de l’accord-cadre à Doha, un cessez-le-feu fragile et un processus inachevé

Salué par Paris, l’Union africaine et plusieurs partenaires régionaux, l’accord-cadre signé à Doha entre Kinshasa et le M23 peine à produire des effets concrets. Le cessez-le-feu reste théorique, les mécanismes de vérification ne fonctionnent pas, et l’essentiel des protocoles reste à négocier jusqu’au plus tard le 29 novembre 2025. Un exercice aussi délicat que difficile.

Le président français Emmanuel Macron a utilisé le vocable « accord » plutôt qu’accord-cadre, qu’il présente comme « une véritable ouverture pour la paix » et « une lueur d’espoir ». Le président de la Commission de l’Union africaine, lui, se « félicite chaleureusement » d’une « étape historique », estimant que l’accord marque un « progrès significatif » vers la stabilité et le traitement des causes profondes du conflit à l’Est de la RDC. La Belgique adopte une position plus nuancée, en appelant « ​​​​​​​toutes les parties à maintenir la dynamique des négociations et à honorer leurs engagements ».

Le Qatar, par la voix du ministre d’État aux Affaires étrangères Mohammed ben Abdulaziz ben Saleh al-Khulaifi, insiste sur le caractère encore incomplet du processus : la signature « ​​​​​​​marque le début d’un processus de paix global, et non sa conclusion ». Les États-Unis, représentés par l’envoyé spécial Massad Boulos, parlent, eux aussi, d’un « ​​​​​​​accord-cadre pour un processus de paix global qui trace la voie vers un accord de paix ». Une formulation qui souligne que l’essentiel reste à négocier.

Un accord encore largement incomplet

Kinshasa parle d’une « ​​​​​​​étape décisive » vers une paix « ​​​​​​​juste, inclusive et durable ». Le gouvernement congolais précise qu’« ​​​​​​​aucun statu quo n’est compatible » avec cet objectif et souhaite obtenir des « ​​​​​​​changements réels et mesurables », dans des courts délais, pour les populations affectées.

Le Rwanda, de son côté, se félicite également de la signature, la considérant comme une « ​​​​​​​étape significative » vers un règlement des causes profondes du conflit.

Mais le processus est loin d’être finalisé. Sur huit protocoles destinés à constituer l’accord final, seuls deux ont été signés en trois mois : le protocole sur la libération des prisonniers (14 septembre) et celui sur la surveillance et la vérification du cessez-le-feu (14 octobre).

Ces deux dispositifs ne fonctionnent pas encore. Les prisonniers n’ont pas été échangés et le mécanisme de vérification n’a tenu qu’une seule réunion, limitée à une prise de contact. Certaines parties étaient absentes. Les protocoles restants seront davantage difficiles à négocier compte tenu des matières qu’ils traitent.

Le cessez-le-feu déjà mis à l’épreuve

Sur le terrain, les violences se poursuivent. Au Nord-Kivu comme au Sud-Kivu, des affrontements ont encore été rapportés ce week-end du 15-16 novembre.

Les engagements pris à Doha – à savoir « ​​​​​​​cesser définitivement les hostilités » et reconnaître qu’« ​​​​​​​une paix durable ne peut être obtenue par des moyens militaires » – ne sont pas respectés. Kinshasa et le groupe AFC/M23 ne parviennent pas encore à faire fonctionner le mécanisme de surveillance du cessez-le-feu.

L’ouverture de l’aéroport de Goma : un point de blocage majeur

Le protocole sur « ​​​​​​​l’accès humanitaire et la protection judiciaire » concentre déjà les tensions. L’ouverture partielle de l’aéroport de Goma cristallise les divergences. Kinshasa veut en encadrer la réouverture et a chargé plusieurs vice-ministres d’y travailler.

L’AFC/M23 rejette cette initiative : la décision est qualifiée d’« ​​​​​​​illusoire » et d’« inacceptable ». Le mouvement affirme que l’aéroport « ​​​​​​​pourra être et sera rouvert uniquement par l’AFC/M23 ». Pour la rébellion, la gestion de l’aéroport constitue un levier dans les discussions, mais aussi une position stratégique. Le Rwanda s’oppose aussi à la réouverture, dans un contexte marqué par des « attaques aériennes » contre les zones contrôlées par l’AFC/M23.

L’autorité de l’État au cœur des divergences

Avant même qu’il ne soit discuté, le protocole sur la « ​​​​​​​restauration de l’autorité de l’État » se heurte déjà à des visions incompatibles. L’AFC/M23 n’a pas planifié de se dissoudre. Le mouvement renforce même son administration, jusqu’à organiser des tests d’évaluation pour des candidats magistrats dans les zones qu’il contrôle. Kinshasa conteste la légitimité de ces recrutements et interroge le sort de ces magistrats dans un éventuel accord final.

Le mouvement insiste que l’accord-cadre ne mentionne pas une extension du pouvoir de Kinshasa sur les territoires qu’il contrôle, mais parle du « rétablissement de l’autorité de l’État sur l’ensemble du territoire national ». Les deux interprétations demeurent opposées.

Sécurité, démobilisation et avenir militaire : un dossier explosif

Les négociations sur les « arrangements sécuritaires intérimaires et le DDR » – le programme de désarmement, démobilisation et relèvement communautaire – s’annoncent particulièrement difficiles. L’AFC/M23 ne manifeste aucune volonté de réduire ses capacités militaires. Le mouvement affirme que sa branche armée, l’ARC, « sera la nouvelle armée » et pourrait « ​​​​​​​intégrer les FARDC », les forces armées régulières. Il continue de recruter et de former ses membres.

Les deux parties ont convenu de mesures de sécurité transitoires pour cinq mois, avec possibilité de prolongation. Mais aucun détail n’existe encore sur leur mise en œuvre, leurs responsables ou leurs modalités.

Le retour des réfugiés, un autre point de discorde

Autre point sensible : le protocole sur « ​​​​​​​l’identité, la citoyenneté, le retour et la réinstallation des réfugiés ». Il renvoie à une revendication historique du M23.

Certains retours ont déjà lieu en l’absence de cadre formel, ce que Kinshasa juge suspect. Selon Patrick Muyaya, ministre congolais de la Communication et des Médias, certains de ceux qui rentrent « ​​​​​​​ne sont pas identifiés comme Congolais ».

Une médiation qui reconnaît ses limites

Le médiateur qatarien, Mohammed ben Abdulaziz ben Saleh Al Khulaifi, a résumé l’état du processus : « ​​​​​​​Le rôle du Qatar n’est pas de résoudre toutes les divergences immédiatement », mais de « ​​​​​​​définir un cadre » incluant les protocoles essentiels à traiter. Il assure toutefois que le Qatar « ​​​​​​​ne se désengagera pas ».

RFI