Testament philosophique en dix leçons

Dans notre société matérialiste, les gens ont coutume de rédiger de leur vivant un testament afin de léguer leurs biens à des proches. Faire son testament n’a jamais fait mourir quelqu’un,  il permet en revanche, de ne pas rajouter des problèmes juridiques, administratifs, à des problèmes affectifs, à un moment où les familles se trouvent plongés dans le désarroi et l’affliction. Pourquoi ne pas en profiter pour faire pour soi, un testament « philosophique « , lorsqu’on a encore toute sa lucidité,  sans attendre d’être grabataire sur un lit d’hôpital, et avoir ainsi la conscience tranquille. 

Leçon n° 1 : Être âgé est un privilège, il n’est pas permis à tout le monde de vieillir et la jeunesse n’est pas un état permanent. J’en veux pour preuve les mots de Jean d’Ormesson : « Vous voilà né, pour mourir. En attendant, il vous faut bien vivre. Vivre est une occupation de tous les instants. Une expérience du plus vif intérêt. Une aventure unique. Le plus réussi des romans. Souvent un emmerdement. Trop souvent, une souffrance. Parfois, pourquoi pas ? une chance et une grâce. Toujours une surprise et un étonnement à qui il arrive de se changer en stupeur ». L’ancien académicien nous fournit là une carte, non pas routière, mais pour un chemin de vie, la nôtre.

Leçons n°2 : Un vieux proverbe nous enseigne « qui veut aller loin, ménage sa monture » , il faut aussi savoir alléger le fardeau. C’est pourquoi il convient d’éliminer, d’éradiquer toute source de conflit, toute relation nocive, éloigner les importuns, bref tout ce qui est prétexte à contrariété et qui nuit à une bonne hygiène mentale et psychique. On ne peut avoir un bon sommeil si on est tourmenté par des idées négatives. Evitons les cauchemars, laissons  place aux rêves.

Leçon n° 3 : Croire que la richesse rend heureux est une illusion, une chimère. Le bonheur, dont la notion reste à définir car elle différente selon les individus, est une denrée périssable et immatérielle qui se construit continuellement, jour après jour. De la même façon que dire « je t’aime » ne signifie rien si ce mot n’est pas accompagné de preuves, de démonstrations concrètes. Sinon il est vide de sens, virtuel, un mot comme un autre. Tout le monde peut dire « je t’aime », le prouver est une autre histoire. Un homme, une femme, qui se dit amoureux (se) est-il (elle) prêt (e), à donner sa vie, un rein à l’être aimé, à l’accompagner dans les épreuves de l’existence, comme un militaire est prêt à se sacrifier par amour pour sa patrie ? Là est la vraie question. On ne mesure pas assez la signification profonde du verbe  « aimer « , le plus beau de la langue française, employé souvent à tort et à travers. Aimer d’amour,mais aussi d’ amitié. Il n’y a rien de plus beau dans la vie, de don plus précieux que l’amour et l’amitié, le reste est accessoire. « Être » est plus important « qu’avoir », deux verbes pour un choix entre deux destinées diamétralement opposées.

Leçon n° 4 : Vouloir se cultiver, apprendre, accroître ses connaissances, jusqu’à sa dernière heure, tel devrait être le dessein de toute personne bien née, qui ne peut se satisfaire d’avoir fait ses humanités car on se forme tout au long de sa vie. Nous restons des apprentis tout au long de notre existences. L’ignorance, l’inculture sont des poisons mortels qui tuent à petit feu, comme l’intolérance et l’égoïsme. Rien de tel, que de lire un auteur, classique ou non, écouter de la musique, d’opéra ou non, visiter un musée, d’art moderne ou consacré aux civilisations anciennes, pour se régénérer l’esprit en permanence, et éviter de se scléroser des neurones. Seule l’ouverture à la connaissance permet à un esprit critique de s’épanouir et éviter qu’il ne s’aliène. Alors, plutôt que d’être le « plus riche du cimetière », pourquoi ne pas aspirer à être riche culturellement, intellectuellement ?

Leçon n° 5 : Nous avons perdu le goût de voir,de sentir, d’entendre, trois sens essentiels sur cinq, ce qui n’est pas rien.  Nous devons nous les réapproprier car ils conditionnent notre existence et notre bien-être quotidien. Nous étions des enfants de la nature, et nous sommes devenus des produits de consommation, il nous faut revenir à nos origines afin de retrouver l’équilibre perdu. Effectuer une marche en forêt, à travers les prairies, le long du littoral sur un chemin douanier, sur un sentier de montagne, et apprécier les merveilles de la nature qui nous environne, les arbres, les plantes, les fleurs, les cris des oiseaux, le bruit d’une cascade, les bruissements de la vie à l’état sauvage même si la « civilisation » la martyrise un peu plus chaque jour. Où précisément pour cette raison !  Nous sommes peut-être l’une des dernières générations à pouvoir profiter de la beauté des paysages, alors ne boudons pas notre plaisir et ne gâchons pas notre chance..

Leçon n° 6 : Qu’avons-nous fait également de la plupart des vertus cardinales qui nous étaient enseignées jadis à l’école, telles que le civisme, le patriotisme, le courage, la solidarité, le goût de l’effort ? La société de consommation et le consumérisme sont passés par là, avec leur envie de jouir de tout, et tout de suite, y compris des choses les plus superficielles, et des paradis artificiels comme le cannabis et la cocaïne. La recherche du plaisir permanent a endormi notre volonté, annihilé notre énergie, endormi nos ambitions. Si notre société est devenue décadente, débile, violente, irresponsable, agressive, cruelle, c’est parce que nous l’avons voulue ainsi. Nous avons enfanté une multitude de bébés montres, le racisme, l’antisémitisme, le désir de conquête afin de posséder encore plus de richesses, d’asservir les peuples par la force ou par le biais des réseaux sociaux et les nouvelles technologies numériques. Georges Orwell l’avait prophétisé avec son livre 1984, nous l’avons réalisé !

Leçon n° 7 : Procéder à un simple examen de conscience, les exercices spirituels comme disait Ignace de Loyola, le fondateur des jésuites, avec des questions simples : Ai-je nui à autrui, me suis-je montré mauvais envers quelqu’un, ai-je manqué de bonté, ai-je été égoïste, hypocrite, intolérant, violent ? Personne n’est tout à fait noir, ou tout à fait blanc, nous sommes le plus souvent des petits êtres gris. La perfection n’est pas de ce monde, notre ambition doit consister seulement à l’approcher, et si nous y parvenons nous aurons alors accompli un petit pas pour l’homme et effectué un grand bond pour l’humanité.

Leçon n° 8 : Réaliser son testament philosophique n’induit pas l’adhésion à une quelconque religion, c’est seulement réfléchir à notre propre condition humaine, penser à ce que nous avons fait de notre vie, aussi bien en termes de succès que d’échecs, quel sens nous lui avons nous donné, quelle graine nous avons plantée plantée pour rendre le sol fertile. C’est avoir l’honnêteté de reconnaître ses erreurs et admettre ses imperfections, seuls les imbéciles ne se trompent pas, afin de les corriger pour le temps qui nous est imparti. Il n’est jamais trop tard pour bien faire. Dans le bouddhisme le karma invite à être responsable de ses bonnes, comme de ses mauvaises actions et de les assumer. Pour un disciple de Bouddha le karma conditionne sa prochaine réincarnation.  En clair, le futur sera ce que nous avons fait du présent et nous récolterons les fruits que nous méritons, la potion sera alors douce ou amer, c’est selon. En clair, nous avons notre destin entre nos mains, et c’est ici et maintenant que nous devons nous en préoccuper, après, il sera trop tard.

Leçon n° 9 : Voilà pourquoi, réfléchir  à son testament philosophique n’est pas inutile, il ne hâtera pas notre fin mais nous permettra d’affronter celle-ci plus sereinement, avec la satisfaction d’une forme de devoir accompli, et d’avoir pu être utile à la communauté humaine, dont nous sommes l’un des modestes maillons parmi des milliards d’êtres humains. Ayons toujours présent à l’esprit la théorie scientifique du chaos : le bruissement d’aile d’un papillon à Bahia peut, par une théorie mathématique dit de « systèmes dynamiques », entraîner un cyclone aux Philippines, à savoir que nos actes quotidiens ne sont pas innocents et ont des conséquences que nous ne soupçonnons pas toujours, sur les autres et sur notre environnement.

Leçon n° 10 : Bienvenue sur la planète Humanité !

Jean-Yves Duval, journaliste écrivain.