A l’heure où le pays est traversé par une crise politique sans précédent, l’actualité judiciaire est là pour nous rappeler le côté sordide de notre société, en proie à la violence quotidienne sous toutes ses formes. Oui, la France est malade et les symptômes s’appellent antisémitisme, trafics de drogues, règlements de comptes sanglants dans les cités, augmentation des violences aux personnes, y compris des élus, représentants de l’ordre, enseignants, etc., etc. la liste est aussi longue qu’un catalogue de la redoute. La France est malade et les différents Diafoirus qui sont à chevet n’ont pas l’antidote ou le vaccin pour la soigner. L’instabilité politique n’est que la partie immergée de l’iceberg.
Deux faits divers ont récemment mobilisé l’opinion publique ces dernières semaines. Le premier est l’affaire Jubillar, du nom de cette jeune femme, Delphine, vraisemblablement assassinée par son conjoint Cédric, même si les enquêteurs n’ont pas à ce jour retrouvé le corps, victime sans aucun doute d’un féminicide. C’est du moins la conviction profonde des jurés et magistrats de la cour d’assises d’Albi dans le Tarn, alors qu’il n’y a ni preuves, ni aveux de l’auteur présumé. Si cette affaire d’une mère de famille a tant ému la France, qui s’est passionnée pour le procès, c’est que tout laisse à penser à un « meurtre parfait » au terme de cinq années d’enquête et d’instruction. L’auteur présumé, qui a interjeté appel et doit donc être toujours considéré comme innocent, a toujours nié les faits et s’est muré dans un mutisme complet face aux exhortations d’un de ses enfants l’appelant à dire la vérité. L’affaire sera rejugée d’ici un an et on saura alors si la décision de « culpabilité » sera à nouveau retenue à l’encontre de Cédric Jubillar et sa condamnation à trente ans de prison confirmée. On peut cependant comprendre la frustration de ses deux avocats qui plaidaient l’innocence en l’absence d’éléments concrets suite à une enquête de gendarmerie comportant de nombreuses zones d’ombre. On imagine aussi que les sept jurés, qui ont prononcé la sentence, n’ont pas envoyé, sans raison, un homme derrière les barreaux pour une peine aussi longue, en leur âme et conscience. Les attendus du jugement nous renseigneront. Il y a donc dans cette affaire, qui a commencé par la disparition suspecte de Delphine au cours de la nuit du 15 au 16 décembre 2020, quelque chose de déroutant qui laisse un goût amer d’inachevé. Coupable ? Innocent ? il faudra encore patienter et peut-être que d’ici-là des faits nouveaux surviendront (découverte du corps de Delphine, aveux de Cédric Jubillar, pris d’un remord tardif, etc.), qui permettront de faire pencher définitivement dans un sens les plateaux de la balance de la justice, wait and see, attendons pour voir. Une chose est certaine, au-delà de l’opinion publique, des acteurs de cette affaire, les enfants du couple ont le droit de savoir ce qui est arrivé à leur mère, et aussi de pouvoir, un jour, se recueillir sur sa dépouille, après qu’elle ait été inhumée comme tout être humain dans un cimetière, et non rester enfouie sauvagement dans la nature, à la merci d’animaux errants.
Avec le deuxième fait divers, on touche le fond du sordide. Je parle du viol, suivi du meurtre, accompagné d’actes de barbaries sur la personne de la jeune Lola Daviet, âgée de douze ans seulement au moment des faits survenus le 14 octobre 2022, à Paris, dans le dix-neuvième arrondissement. Le procès de sa meurtrière, une algérienne de 27 ans, sous OQTF, Dahbia Benkired, s’est ouvert vendredi 17 octobre et celle-ci encourt la réclusion à perpétuité. De l’avis des enquêteurs de la brigade criminelle, il est très rare dans la vie d’un policier, pourtant confronté aux pires scènes de crimes, de constater des faits d’une telle sauvagerie, la jeune victime ayant finalement été étouffée vivante, ce qui a mis fin à ses tourments.
La révélation des horreurs subies par cette adolescente martyr m’a renvoyé à la panthéonisation de Robert Badinter, ancien garde des Sceaux de François Mitterand, le 9 octobre dernier, celui-là même à qui on doit l’abolition de la peine de mort en France en 1981. Cette décision, à l’époque était loin de faire l’unanimité, une majorité de nos compatriotes y étant même hostile ouvertement. Pour ma part, je plaide coupable, j’y étais favorable depuis mes études de droit car j’estimais qu’en guillotinant un condamné à mort la justice commettait un acte de barbarie au « nom de la République française » et commettait un « meurtre d’Etat ». Elle se comportait comme ces vulgaires assassins qu’elle pourchasse. La France devait donc s’honorer en se montrant plus civilisée, à l’image des grandes démocraties de la planète. En outre, notre histoire est pleine « d’erreurs judiciaires » d’où l’existence de grands principes, que j’avais fait miens, « le doute doit profiter à l’accuser », « mieux vaux libérer un coupable, que condamner un innocent », etc. Or il est impossible d’envisager la révision d’un procès (actuellement c’est le cas pour Dany Leprince « le boucher de la Sarthe », de Thorigné-sur-Dué, condamné pour un quadruple meurtre, qui clame son innocence depuis plus de trente ans) dès lors que l’intéressé a été décapité par le couperet de celle qu’on surnomme la » mirabelle » en hommage à Mirabeau, ou encore la « louisette » pour honorer son créateur le chirurgien Antoine Louis. On ne peut pas le ressusciter, lui recoller la tête sur le cou, et lui dire « on s’excuse, nous nous sommes trompés ». Pour toutes ces raisons j’étais donc un « abolitionniste, et jusqu’à ce jour, quarante-six ans plus tard, je ne le regrette pas.
A ceci près que dans mon esprit, et celui de beaucoup d’autres, à la suppression de la peine de mort devait se substituer une peine de prison à perpétuité « incompressible », autrement dit sans possibilité d’aménagement de la peine, si l’on voulait garder le caractère dissuasif de la sanction. Or, à part la condamnation en 2019 de Mickaël Chiodo, ce genre de condamnation est extrêmement rare, voire inexistant. Résultat, aucune peine prononcée n’est réellement effectuée dans sa totalité, en raison des dispositions du code pénal ou au motif d’une bonne conduite du détenu. Or si la justice doit se montrer « juste » envers un coupable, c’est la nature même d’un Etat de droit, encore faut-il qu’elle le soit aussi en faveur des victimes, qui est une autre exigence élémentaire. Les parents de la petite Lola (son père est déjà décédé des suites de son chagrin) sont déjà, eux, déjà condamnés à mort, leur souffrance étant immense et insupportable. Qui y’a t-il de pire que le meurtre de son enfant ? Ils sont en en droit d’exiger de la société, qui a le devoir de la leur fournir, une réparation à la hauteur du préjudice affectif subi par une condamnation exemplaire de la coupable. Si la meurtrière n’est pas un monstre, son acte, lui, est monstrueux.
Les français n’accepteront pas que Dahbia Benkired, qui a reconnu les faits avec une désinvolture incroyable et une indifférence totale, ne soit pas condamnée à la réclusion criminelle à perpétuité incompressible, qu’elle termine sa vie derrière les barreaux, sans espoir de retrouver un jour la liberté. C’est la seule façon pour elle d’expier son crime atroce et c’est précisément pour éviter les sorties anticipées de criminels qu’aux Etats-Unis un tribunal peut condamner un individu reconnu coupable de peines d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à cent ans, voire davantage. Il s’agit bien là une perpétuité réelle et d’une perpétuité d’opérette.
Si tel ne devait pas être le cas, alors j’en viendrais à douter des vertus de l’abolition de la peine de mort, à regretter mon choix et à souhaiter son rétablissement, afin de ne plus avoir à connaître des drames comme celui de la jeune Lola. Plus jamais ça !
Notre arsenal juridique doit savoir évoluer en fonction de la dangerosité des individus et des nouvelles formes de violences, de plus en plus cruelles, dans notre société, et les honnêtes gens doivent être protégés, à défaut il s’agirait d’une abdication du droit face aux hors-la-loi.
Ce n’est pas à la société à s’adapter aux lois, c’est aux lois de s’adapter à la société.
On le doit à toutes les victimes innocentes, et à leurs familles, mais aussipour éviter le risque de se faire justice soi-même face à l’indulgence des législateurs, dont les tribunaux et leurs magistrats sont le bras armé.
L’humanité à ses propres limites, face à l’inhumanité !
Jean-Yves Duval, journaliste écrivain