France, Royaume-Uni, Canada, Australie, Belgique, Luxembourg, Portugal… De nouveaux pays vont reconnaître, dans les prochains jours, l’État de Palestine. Des États qui jusque-là renâclaient ou hésitaient à faire ce geste, alors que près de 150 pays ont déjà sauté le pas. Regards croisés sur ce changement de position avec deux anciens diplomates français.
Yves Aubin de la Messuzière a été ambassadeur (notamment en Tunisie) et il a mené des contacts pour la France avec le Hamas, après la victoire du parti islamiste aux élections législatives palestiniennes de 2006. Son dernier ouvrage s’intitule Israël Palestine, le déni du Droit international (éditions Hémisphères). Michel Duclos, ancien ambassadeur (notamment en Syrie) est désormais conseiller Spécial à l’Institut Montaigne et auteur de plusieurs ouvrages parmi lesquels Diplomatie française (Alpha / Humansis).
RFI : Est-ce que cette reconnaissance de l’État palestinien par la France aurait dû intervenir plus tôt ?
Michel Duclos : Je ne suis pas sûr, car c’est une décision importante pour laquelle il faut bien choisir son moment. Et je pense que maintenant, c’est vraiment le moment. On a donné à Israël suffisamment de signaux pour qu’il modifie sa trajectoire. Attendre trop, ça signifierait prendre le risque de reconnaître la Palestine quand il n’y aura plus de Palestiniens sur le sol de la Palestine.
Yves Aubin de la Messuziere : J’ai été l’un des artisans d’une déclaration européenne d’inspiration française qui en 1999 évoquait déjà un État palestinien viable qui sera reconnu « le moment venu ». Mais entre-temps, du chemin a été parcouru : la Palestine est devenue un État observateur non-membre de l’ONU en 2012. Ce qui lui a permis de signer des conventions internationales : Unesco, OMS et Cour pénale internationale (CPI). Avant la France (et les autres pays s’apprêtant à le faire), 148 pays ont déjà reconnu l’État palestinien. L’enjeu maintenant est d’amplifier cette reconnaissance.
RFI : Concrètement, cette reconnaissance va-t-elle changer quelque chose ?
Michel Duclos : Cette reconnaissance est un élément parmi d’autres dans un processus. Et ce qui compte, c’est moins la reconnaissance que le processus. On a déjà un certain nombre d’acquis discutés avec les Palestiniens et les partenaires arabes : la réforme de l’Autorité palestinienne, la perspective d’élections en Palestine et la mise à l’écart du Hamas dans toute forme de gouvernance future de la Palestine. Ce qui est important, c’est d’aller plus loin. Il est important que d’autres États se joignent à la France.
Yves Aubin de la Messuziere : Il fallait ouvrir une perspective. La reconnaissance, c’est le meilleur moyen de préserver la solution à deux États. C’est la préservation du droit à l’autodétermination du peuple palestinien. Car d’une guerre contre le Hamas, Israël est passé à une guerre contre le peuple palestinien.
RFI : Que représente le risque de représailles diplomatiques de la part d’Israël ?
Michel Duclos : Il est significatif. Le gouvernement de M. Netanyahu est pris dans une espèce de folie – le mot est peut-être trop fort – une forme d’hubris. Il n’écoute plus personne et s’imagine que le seul partenaire qui compte, ce sont les États-Unis qui continuent d’être à ses côtés. Il s’imagine aussi qu’il peut dominer la région par la force, en intervenant au Liban, en Syrie et maintenant au Qatar. Donc pourquoi pas en Turquie ou en Arabie Saoudite ? Cela s’ajoutant à l’annihilation complète de Gaza et à la domination de plus en plus nette de la Cisjordanie.
Donc, on peut craindre que Netanyahu considère légitime d’exercer des représailles contre la France et de s’enfermer dans cette politique de la force. Évidemment, si on est vraiment ami d’Israël, on doit considérer que ça se terminera mal pour les Israéliens et que ce sera au préjudice, aussi, de la communauté juive dans le monde.
Yves Aubin de la Messuziere : Il est possible qu’Israël annonce la fermeture du consulat général de France à Jérusalem, voire l’annexion d’une partie de la Cisjordanie. La France pourrait alors saisir les différentes instances de l’ONU, y compris le Conseil de Sécurité. Ce qui isolera un peu plus Israël et aussi les États-Unis qui feront usage de leur droit de veto. Il faut rappeler que dans son avis juridique de juillet 2024, la Cour internationale de Justice (CIJ) est très claire sur l’illégalité de l’occupation et de la colonisation des Territoires palestiniens.
RFI : Les actions d’Israël sont largement soutenues par les États-Unis de Donald Trump, ce soutien va aussi peser dans la séquence qui s’ouvre avec la reconnaissance de l’État palestinien par la France et d’autres pays ?
Michel Duclos : On peut continuer à avoir un petit espoir que Trump soit capable de tordre le bras de Netanyahu. Ce qui après tout a été le cas de tous les présidents américains sauf Biden ! Ce serait alors un retour à la politique américaine classique de dire à Israël : « on vous soutient, on est avec vous, mais maintenant, il faut que ça s’arrête ». À ce moment-là, le rôle de la France serait de faire comprendre qu’il y a une complémentarité entre les accords d’Abraham [la normalisation des relations entre Israël et plusieurs pays arabes, dont les Émirats arabes unis et le Maroc, depuis 2020, NDLR] et la démarche franco-saoudienne en cours.
Pour que d’autres pays arabes normalisent leurs relations avec Israël, il faut qu’Israël accepte de donner quelque chose aux Palestiniens. En acceptant une autorité politique palestinienne et – un jour – un État palestinien, ça rendrait possible la reconnaissance d’Israël par l’Arabie Saoudite et d’autres pays arabes.
Yves Aubin de la Messuziere : En rencontrant le Premier ministre israélien Netanyahu [le 15 septembre], le secrétaire d’État américain, Marco Rubio, a vertement critiqué les pays qui s’apprêtent à reconnaître l’État palestinien (affirmant que cette prise de position avait « enhardi » le Hamas). Les États-Unis sont dans le soutien absolu aux pratiques israéliennes dans les territoires occupés. Et Israël met les États-Unis devant le fait accompli avec des actions comme l’attaque visant le Hamas à Doha au Qatar.
Nicolas Falez RFI