Publication 19/09/2025 seneplus
Mon ami feu le Pr Ibrahima SOW directeur de l’institut de l’imaginaire à l’IFAN avait abordé la question depuis longtemps. Une vraie plaie qui bloque le pays. On donne trop de force et de pouvoir à des gens sans métiers, ce qui rend paresseux gagner par la prière ou des rituels. En plus, certains vont faire des sacrifices humains pour faire le mal. Un problème que les vrais marabouts dénoncent. Les couples en pâtissent y compris le monde du travail. PBC
Nos écrans sont devenus des miroirs puissants de notre société. À travers les séries, des millions de spectateurs rient, pleurent, s’identifient et parfois s’inspirent. Mais faut-il tout représenter au risque de banaliser ce qui nous affaiblit
Nos écrans sont devenus des miroirs puissants de notre société. À travers les séries, des millions de spectateurs rient, pleurent, s’identifient et parfois s’inspirent. Mais faut-il tout représenter au risque de banaliser ce qui nous affaiblit collectivement ?
Quand le maraboutage devient banal
Regardons un exemple : le personnage d’Oumou Thiam dans la série Babeel de la maison de production Marodi. Elle est la caricature de la méchanceté, sans classe, ni dignité, elle multiplie les pratiques maraboutiques sans jamais en subir les conséquences. Tout glisse pour elle. Seule sa fille, dans la série, semble payer les dommages collatéraux. Oui, la transmission intergénérationnelle est une réalité, mais pourquoi enfermer sa fille dans cette logique de fatalité ? Ce type de schéma trop souvent répété, finit par installer une fascination malsaine pour le maraboutage et par en normaliser la place dans nos imaginaires.
Je crois profondément à la transmission de nos savoirs endogènes, à la valorisation de nos héritages culturels et symboliques. Cependant certaines pratiques méritent d’être questionnées. Entre préserver ce qui nous élève et mettre en avant ce qui nous tire vers le bas, il y a une ligne rouge à ne pas franchir.
Cette ligne est d’autant plus importante que nos séries ne sont pas consommées uniquement au Sénégal. Elles circulent largement dans la diaspora africaine et au-delà.
Me semble-t-il et ce n’est pas une légende urbaine, qu’il existe des hommes et des femmes de savoir dans nos communautés, des érudits, des initiés qui soignent, apaisent, accompagnent ou élèvent. La spiritualité et les savoirs endogènes ne sont pas intrinsèquement maléfiques. Le problème, c’est que le récit audiovisuel les cantonne presque toujours à ce rôle. Les producteurs ont le pouvoir de montrer cette diversité, de nuancer la représentation et d’offrir une vision plus riche et équilibrée de nos pratiques culturelles. Cela ne diminuerait en rien l’attrait dramatique ou la créativité des séries : au contraire, cela pourrait ouvrir des intrigues plus profondes et des personnages plus complexes, tout en contribuant à la dignité et à la bonne image de notre culture, ici et à l’international.
Le pouvoir des séries sur notre imaginaire
Récemment, dans un groupe Facebook de femmes noires en France, j’ai vu une discussion où une internaute demandait, presque naturellement, aux sénégalaises ce que pouvait signifier un talisman en forme de corne qu’elle aurait retrouvé dans la boîte à gants de sa voiture. Non ce n’est pas anodin ! Pourquoi ce questionnement sur le maraboutage, comme si cela faisait partie intégrante de notre identité ? Parce que nos productions audiovisuelles donnent parfois cette impression : que le maraboutage est omniprésent, au point d’en devenir une “spécialité culturelle”. Voilà comment naît et se diffuse un stéréotype. S’en défaire n’est pas aussi aisé qu’il n’y paraît.
Impact international et soft power
Ce qui est en jeu ici, c’est notre soft power. L’industrie audiovisuelle est un levier puissant d’influence culturelle et de rayonnement international. Elle peut renforcer la fierté, valoriser notre créativité et ouvrir des ponts avec le monde. Mais elle peut aussi nous réduire à des clichés réducteurs si nous ne faisons pas attention aux narratifs que nous choisissons de mettre en avant.
Les maisons de production sénégalaises, à commencer par Marodi TV et Even Prod, ont fait la preuve de leur talent et de la beauté de leur travail et on peut les en féliciter. Elles savent capter l’attention, émouvoir, divertir. Mais ce pouvoir doit s’accompagner d’une responsabilité : celle de comprendre que le narratif façonne l’audimat, influence les conversations et imprime durablement des représentations dans la conscience collective, ici et ailleurs
Alors, pourquoi ne pas s’emparer de cette force pour ouvrir de nouveaux horizons ? Raconter nos solidarités, nos innovations, nos résistances, nos élans d’espérance. Proposer des récits qui divertissent autant qu’ils élèvent, qui bousculent autant qu’ils inspirent.
Et demain ? Une prospective nécessaire
Imaginer l’avenir de nos productions audiovisuelles, c’est refuser de se contenter des recettes faciles qui misent sur le sensationnel du maraboutage. C’est se demander : quels récits voulons-nous offrir aux générations futures et au monde qui nous regarde ?
Nos séries pourraient être aussi des laboratoires d’imaginaire collectif, où l’on met en avant la créativité de notre jeunesse, les innovations technologiques locales, la vitalité de nos langues, ou encore les luttes de nos femmes pour l’autonomie et la dignité. Elles pourraient valoriser nos solidarités communautaires, nos savoirs endogènes positifs, nos réussites dans l’éducation, l’entrepreneuriat ou l’écologie. Notre patrimoine spirituel et culturel est immense : le Ndeup comme rituel de guérison et d’apaisement, les Saltigués comme gardiens de mémoire et de savoirs, les bois sacrés et les fétiches qui structurent encore la vie de certaines communautés. Autant d’éléments porteurs de sens et de richesse symbolique, qui méritent d’être montrés, explorés et valorisés dans nos productions.
Un tel choix narratif ne réduirait en rien la qualité des séries.
Au contraire, il pourrait élargir leur audience et renforcer leur portée. Car le public, aussi bien local qu’international, ne demande pas seulement à être diverti : il veut aussi être inspiré.
Ce public bien évidemment n’est pas condamné à rester prisonnier de la peur et du surnaturel. Il est prêt pour autre chose.
N’est-ce pas alors à vous, producteurs, de faire le choix d’une création responsable, qui nous fait grandir sans rien enlever à la richesse de vos univers ?
Cécile THIAKANE à suivre et à lire avec la raison et non le coeur
Consultante RSE