L’opération, qui intègre des secteurs sous-estimés comme l’informel et le numérique, promet d’améliorer les ratios dette/PIB surveillés par le FMI. Mais l’illusion statistique a ses limites : le stock de dette reste identique, seul le dénominateur change
Dans une enquête publiée le 25 août 2025 par Jeune Afrique et signée par les journalistes Thaïs Brouck et Marie Toulemonde, l’hebdomadaire panafricain révèle les enjeux du rebasage du PIB pour plusieurs pays africains, avec le Sénégal en première ligne de cette opération stratégique.
Confronté à un taux d’endettement record de 119% du PIB à fin 2024 – « ce qui en faisait le pays le plus endetté du continent » selon Jeune Afrique –, le Sénégal a trouvé dans le rebasage de son PIB une solution pour alléger mécaniquement ce ratio alarmant. Cette situation découle directement du scandale de la dette cachée qui a éclaboussé le régime précédent et complique aujourd’hui les relations avec les bailleurs internationaux.
Contrairement au Nigeria qui « a fini l’opération en juillet » avec une révision à la hausse de 30% de son PIB, le Sénégal est encore « en train de la mener », aux côtés du Congo et du Gabon. Le ministère des Finances et du Budget sénégalais a confirmé en juillet que « l’exercice de rebasage du PIB est en cours depuis un certain temps », précisant qu’il « vise à mieux refléter le niveau réel de développement économique du Sénégal », sans toutefois « préciser le délai nécessaire pour faire aboutir l’opération ».
Cette démarche s’inscrit dans un mouvement continental plus large. Plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest ont déjà procédé à cet exercice : le Togo, le Bénin, le Burkina Faso, la Guinée-Bissau, le Niger et la Côte d’Ivoire. Cette dernière avait même innové en 2017 en intégrant dans ses calculs des secteurs jusqu’alors ignorés, y compris « le travail des professionnels du sexe ».
Le rebasage consiste concrètement « à changer l’année de référence pour calculer le PIB du pays ». L’opération « augmente généralement de manière significative » la valeur du PIB « car des secteurs sous-estimés ou ignorés sont intégrés, comme le secteur informel, le numérique ou certains services financiers ».
Pour le Nigeria, l’impact a été spectaculaire. Lors de son premier rebasage en 2014, « la taille de l’économie avait bondi de 89% », propulsant le pays au rang de première économie africaine. En juillet dernier, Abuja a renouvelé l’expérience avec un nouveau bond de 30%, faisant chuter son « taux d’endettement à environ 39%, contre 52% avant l’exercice de rebasage ».
Des retombées attendues mais limitées
Pour le Sénégal, cette « bouffée d’oxygène salvatrice » pourrait permettre de « faire redescendre ce taux sous la barre des 100% », offrant ainsi une respiration budgétaire indispensable. L’amélioration mécanique des indicateurs macroéconomiques faciliterait les négociations avec les bailleurs et rassurerait les investisseurs.
Toutefois, un financier actif en Afrique de l’Ouest interrogé par JA tempère les attentes : « Bien que les indicateurs macroéconomiques s’améliorent, le rebasage du PIB ne change rien au stock de dette, ni à la capacité du pays de lever de l’impôt et donc de la rembourser. » L’expert reconnaît néanmoins que « l’opération vaut la peine en raison de l’amélioration escomptée des indicateurs nationaux, scrutés par les investisseurs comme par les bailleurs ».
Cette démarche répond aux recommandations de l’ONU et de l’Union africaine qui préconisent « de répéter cette opération tous les cinq ans, notamment dans les pays en développement dont la structure de l’économie évolue rapidement ». L’objectif est double : refléter avec précision la réalité économique en constante évolution et harmoniser les systèmes de comptabilité nationale au niveau mondial.
Le rebasage s’avère donc être bien plus qu’une simple « manipulation statistique ». Il constitue « une nécessité technique qui permet de refléter avec précision une réalité économique en constante évolution », particulièrement cruciale pour des économies africaines en pleine transformation structurelle.
Pour le Sénégal, englué dans la crise de la dette cachée, cette opération représente un outil précieux pour retrouver des marges de manœuvre budgétaires et restaurer sa crédibilité auprès des partenaires financiers internationaux. Reste à connaître l’ampleur de la révision à la hausse que révélera cette opération attendue avec impatience par les autorités de Dakar.