LES NOUVEAUX MISSIONNAIRES VIENNENT DU SUD

Dans un article publié le 17 août 2025 par Sarah Belouezzane et Benoît Vitkine dans Le Monde, une réalité méconnue de l’Église française se dévoile : celle des prêtres africains venus pallier la crise des vocations hexagonales.

Le réveil est parfois brutal. Quand le père Pascal Tindano, prêtre burkinabé de 60 ans, arrive en Champagne fin 2020, c’est d’abord le froid qui le saisit. Aujourd’hui installé à Sézanne, il continue de « comptabiliser scrupuleusement les épisodes neigeux », selon le quotidien français. Mais au-delà du climat, c’est tout un univers qui se révèle différent de ce qu’il connaissait.

Environ 30% des quelque 6 700 prêtres en activité en France sont désormais étrangers, principalement africains. Cette transformation s’inscrit dans un contexte de chute vertigineuse des vocations françaises, passées de 65 000 prêtres en 1960 à 12 000 aujourd’hui.

Ces hommes d’Église arrivent dans le cadre de l’encyclique Fidei donum de 1957, initialement conçue pour l’envoi de missionnaires européens vers l’Afrique. L’ironie de l’histoire veut qu’aujourd’hui, le mouvement se soit inversé. Comme l’explique le père Elie Delplace, superviseur des sessions d’accueil, il s’agit d’un véritable « clin d’œil de l’histoire ».

Au-delà des difficultés pratiques – obtenir un titre de séjour, ouvrir un compte bancaire, repasser le permis de conduire – c’est l’aspect social qui constitue le principal choc. Trésor-Hugues Kusa, prêtre congolais de 43 ans en poste à Épernay, témoigne avec humour de cette solitude : « J’ai dû menacer mes paroissiens de m’inviter chez eux s’ils ne le faisaient pas eux-mêmes. »

Cette froideur relationnelle contraste fortement avec leurs habitudes. Le père Symphorien Houemabe, béninois envoyé à Luçon, souligne cette différence : « Chez nous, les fidèles font la queue à la sortie de la messe pour discuter avec le prêtre, ou au moins le saluer. »

Les différences ne s’arrêent pas aux relations sociales. Paul Kitoko, prêtre congolais installé dans le Morvan, observe avec étonnement les habitudes liturgiques françaises : « En RDC, certains paroissiens marchent deux heures pour venir à l’église. Si la messe ne dure pas un peu ou si l’homélie ne dure que cinq à huit minutes comme en France, les fidèles ont l’impression que c’est expédié. »

Cette perception se double parfois d’une incompréhension face à une foi qu’ils jugent moins profonde. Trésor-Hugues Kusa déplore ces couples qui « veulent un beau mariage dans une église, écoutent plus ou moins poliment ce que l’on a à leur dire, puis disparaissent sans un mot une fois la cérémonie finie. »

Plus troublant encore, ces prêtres expérimentés se heurtent parfois à un déficit de reconnaissance. Paul Kakamba, originaire de RDC et installé à Dijon, résume cette frustration : « On nous considère parfois comme des élèves à qui il faut apprendre des choses. Alors qu’on a fait des études longues, qu’on a une expérience pastorale riche et originale. »

Cette situation génère parfois des tensions. Trésor-Hugues Kusa regrette le manque de considération : « Chez moi, la police, par exemple sur la route, ne songerait même pas à arrêter un curé sans s’adresser d’abord à son évêque ; ici, les gens m’interpellent en me disant ‘Monsieur’. »

Face à ces difficultés, l’Église française a progressivement mis en place des dispositifs d’accompagnement. Depuis 2006, des sessions « Welcome » préparent les nouveaux arrivants aux réalités hexagonales. Ces formations abordent des sujets sensibles : la gestion de l’argent, les relations avec les femmes, la laïcité, ou encore les affaires de violences sexuelles qui ont ébranlé l’Église.

Mais comme le souligne Paul Kakamba, l’effort doit être réciproque : « On nous demande de nous intégrer et de comprendre ce qu’est la société française, mais la communauté chrétienne et le clergé français doivent aussi comprendre qui nous sommes. Le dialogue doit aller dans les deux sens. »

Cette réflexion ouvre une question plus large sur l’adaptation mutuelle dans une société française en évolution, où l’Église elle-même doit apprendre à conjuguer universalité du message et diversité culturelle de ses messagers.