L’autoroute Ila Touba, facteur de productivité économique

L’autoroute Ila Touba s’inscrit dans une stratégie nationale visant à fluidifier les déplacements entre Dakar et Touba, et à dynamiser le développement du corridor qui les relie. Ce corridor, identifié par plusieurs études internationales (Onu-Habitat, Ernest & Young, Fao) comme l’un des plus prometteurs d’Afrique, représente un levier majeur pour structurer les pôles territoriaux, améliorer la connectivité et stimuler la croissance économique.

Historiquement, les corridors économiques ont toujours joué un rôle central dans l’urbanisation et le commerce, et le modèle Dakar-Touba suit cette logique. Il se caractérise par quatre éléments : un axe dynamique, deux pôles terminaux puissants (Dakar et Touba), des centres-relais actifs et un réseau de flux latéraux. L’autoroute Ila Touba ne crée pas d’«effet tunnel» défavorable pour les villes traversées. Au contraire, grâce à des interactions systémiques et des mesures d’accompagnement, elle stimule leur développement économique.

En réduisant significativement les temps de trajet, l’autoroute génère d’importants gains de productivité, facilite les échanges commerciaux et favorise l’intégration territoriale. Elle pourrait également entraîner l’émergence de migrations pendulaires, transformant des villes comme Thiès ou Touba en pôles résidentiels complémentaires de Dakar. Toutefois, le développement rapide du corridor accentue la spéculation foncière, rendant urgente la mise en place de plans d’aménagement et d’une meilleure gouvernance foncière.

La réalisation de l’autoroute Ila Touba participe de la stratégie mise en œuvre par l’Etat sénégalais pour fluidifier la circulation entre Dakar et Touba, les deux métropoles les plus importantes du pays du point de vue démographique. Mais, il s’agit plus que de cela. En effet, elle contribuera, tel que réaffirmé à l’Axe 3 de l’Agenda national de transformation (Ant), à impulser un dynamisme de type nouveau au corridor Dakar-Touba et à en faire un poumon émergent du développement national. Le corridor Dakar-Touba est le levier critique pour structurer les pôles-territoires traversés, asseoir leur connectivité et opérer les transformations économiques souhaitées.

Au niveau mondial, les corridors ont toujours existé et ils ont pris des formes diverses selon les époques et les évènements qui sous-tendent leur genèse et leur développement. En Afrique subsaharienne, les premiers corridors sont apparus avec le commerce caravanier et ont permis de faciliter les rapports commerciaux avec l’Afrique du Nord. Des villes telles que Tombouctou au Mali, Agadez au Niger ou Kano au Nigeria doivent leur genèse à ce commerce qui constitue l’un des principaux moments fondateurs de l’urbanisation sur les axes précoloniaux comme Tripoli-Tombouctou, Gha­damès-Kano ou Benghazi-Abéché.

Dans leurs formes actuelles, les corridors doivent leur développement à la généralisation de l’automobile comme moyen de transport et à la densification des réseaux routiers et ferroviaires modernes. Limités à de petits espaces au début, les corridors franchissent aujourd’hui les frontières nationales et mettent en réseaux des agents économiques de plus en plus distants.

Dans son rapport de l’année 2010 sur l’état des villes africaines, Onu-Habitat a consacré une section importante à ces configurations spatiales nouvelles qui déterminent de plus en plus le devenir des Etats concernés. Le corridor Dakar-Touba fait partie des cas mis en exergue dans ce rapport.

Dans les études d’intelligence économique récentes, les corridors font l’objet d’une attention particulière du fait de leurs capacités à transformer les espaces qu’ils traversent et à générer des dynamiques favorables au développement économique. Dans un rapport de 2011 réalisé par le Cabinet Ernest & Young, intitulé It’s time for Africa, l’axe Dakar-Touba a été identifié comme faisant partie des corridors économiques les plus prometteurs du continent.

La Fao a également fait allusion au corridor Dakar-Touba dans une étude publiée en 2014, intitulée Making economic corridors work for the agricultural sector. Les exemples ne finissent donc pas !

Éléments caractéristiques des corridors : le cas particulier de Dakar-Touba
Les corridors sont des formes spatiales complexes certes, mais identifiables à partir de quatre éléments caractéristiques : un axe de circulation dynamique et structurant de par sa longueur et par le volume important de flux qu’il draine ; deux pôles terminaux suffisamment puissants pour attirer des flux sur plusieurs dizaines, voire des centaines de kilomètres. La puissance d’un pôle terminal se mesure en général à son poids démographique, qui détermine son rayon d’action, et à sa fonction économique, qui constitue un facteur déterminant dans la décision des agents économique à s’y rendre ou non ; des centres-relais actifs et de niveaux divers ayant pour fonction la polarisation et la structuration des espaces intermédiaires ; un mécanisme de bassin versant qui permet à l’axe principal d’entraîner, à l’aide de ses axes perpendiculaires, des flux sur plusieurs kilomètres de part et d’autre de son tracé.

Pas­sé au crible de ces quatre critères, le corridor Dakar-Touba apparaît comme un cas singulier au Sénégal et en Afrique de l’Ouest :

Long d’environ deux-cents kilomètres (200 km), il est l’un des axes les plus fréquentés du pays, s’il n’est pas le plus fréquenté. Son trafic ne cesse de fasciner les analystes et autres observateurs du fait de son ampleur, mais également de la diversité des usagers et des agents économiques impliqués. Il forme aujourd’hui un couloir d’une faible largeur, en parallèle à l’autoroute Ila Touba avec laquelle il interagit intelligemment tout le long du corridor ;

Ses pôles terminaux, Dakar et Touba, sont les deux premières agglomérations urbaines du pays, avec respectivement près de 4 millions et plus de 1 150 000 habitants au dernier Recensement général de la population (Ansd, 2023). Les départements dans lesquels ils sont localisés enregistrent les soldes migratoires internes les plus importants du pays selon cette même source ;

Son tracé est jalonné de villes de tailles variées alternant avec de petits centres ruraux très dynamiques (Km50, Thiénaba, Ndan­galma, Bambey Sérère, Lagnar, Patar, Ndoulo…), avec une distance moyenne maximale de 30 kilomètres entre deux villes, et de 15 kilomètres seulement entre deux centres importants, toutes catégories confondues ;

Grace à ses axes perpendiculaires, l’axe Dakar-Touba draine des flux importants de part et d’autre de son tracé sur plusieurs dizaines de kilomètres. Une grande ville comme Kaolack, par exemple, est nécessairement connectée à l’axe Dakar-Touba via Diourbel, du fait de ses rapports privilégiés avec Touba. Elle entraîne dans son sillage celle de Fatick, qui entretient en même temps des relations de plus en plus importantes avec celle de Bambey grâce à la réhabilitation récente de l’axe routier qui les relie ;

Aujourd’hui, le corridor Dakar-Touba est le seul axe du pays associant, sur une distance aussi importante, trois modes de transport terrestre différents : la route, l’autoroute et le rail.

L’autoroute Ila Touba, facteur de productivité économique

Diverses théories économiques, le taylorisme en particulier, ont démontré le lien étroit entre temps de travail et productivité. En général, un gain de temps valorisé se traduit par une nette amélioration dans la productivité et dans la création d’emplois nouveaux. D’où la célèbre expression anglo-saxonne «time is money» (comprenez littéralement «le temps, c’est de l’argent»).

De fait, les transports rapides, quel que soit le type considéré (autoroute, Ter, Brt…), révolutionnent incontestablement les économies et les territoires, en améliorant significativement leur productivité et leur attractivité.

En Europe, en Amérique du Nord et en Asie, le renforcement du réseau autoroutier vise un triple objectif d’amélioration de l’accessibilité géographique des zones enclavées et des centres urbains stratégiques, de structuration du territoire national (fonctions d’aménagement du territoire) et de satisfaction des agents économiques qui cherchent à agir sur les temps de trajet (time tracking) pour améliorer leur productivité. Dans ces continents, les Etats et les agents économiques comprennent depuis fort longtemps l’impact important que peut avoir le facteur-temps dans la productivité de leurs économies et cherchent sans cesse à le dompter pour aller plus vite, encore plus vite.

L’invention de l’Hyperloop, un train-capsule doté d’une vitesse supersonique pouvant atteindre plus de 1000 km/h, montre combien la maîtrise du temps constitue une préoccupation majeure pour réduire davantage les temps de trajet et booster la productivité économique.

Dans le cas de Ila Touba, la réduction significative des temps de trajet est une réalité et se traduit par des gains de productivité importants. Par exemple, il est désormais possible à un opérateur de taxi privé de faire deux allers-retours, voire trois, dans une même journée, entre Dakar et Touba, au lieu d’un seulement sur le réseau classique. Ce qui lui permet de multiplier par deux, voire trois, son chiffre d’affaires journalier. Cet exemple très simple est évidemment loin de refléter la complexité et l’éventail des avantages qu’offre Ila Touba en termes de gain de temps et de productivité journalière.

Ila Touba a permis également de réduire considérablement, sur une distance de 200 kilomètres au moins, le temps du trajet Dakar-Matam via Touba. Ce qui contribue au prolongement de l’axe Dakar-Touba qui devient la principale diagonale urbaine du pays.

Enfin, la mise en service de Ila Touba a soulagé la Rn3 et amélioré significativement son trafic, au fur et à mesure que les automobilistes se familiarisent avec l’autoroute. La Rn3 devient en effet plus fluide (report de trafic), ce qui contribue à renforcer l’efficacité économique de l’axe et à réduire de manière significative les accidents routiers liés à la densité du trafic ; l’augmentation continue du nombre d’accidents étant en grande partie liée à un trafic trop dense et inadapté au gabarit actuel de cette route.

Touba-Dakar : un mouvement pendulaire en gestation ?

Le déploiement des transports rapides s’accompagne en général, autour des grandes agglomérations surtout, de transformations socio-spatiales spécifiques. Deux d’entre elles retiennent particulièrement l’attention : le développement des migrations pendulaires et l’étalement diffus et tentaculaire des tâches urbaines.

La migration pendulaire (ou migration alternante) est une forme de mobilité typique des grandes métropoles des pays développés caractérisée par la possibilité, pour un individu, de travailler (d’étudier, etc.) tous les jours dans un lieu situé à plusieurs kilomètres de son domicile sans pour autant être obligé d’y résider. En Europe et aux Etats-Unis où la distance domicile-travail peut atteindre plusieurs centaines de kilomètres, cette forme de mobilité est rendue possible grâce à la densification des réseaux autoroutiers et ferroviaires rapides en direction des grandes agglomérations qui concentrent l’essentiel des emplois.

La diffusion des transports rapides s’accompagne ainsi d’un allongement continu des trajets domicile-travail compensé par la rapidité d’accès au lieu de travail, quel que soit le lieu de résidence du travailleur. L’étalement rapide et diffus des grandes villes dans les pays développés réside en grande partie dans ce mécanisme qui pourrait bien être une réalité au Sénégal.

Le développement des trans­ports rapides au Sénégal aura en effet un impact certain sur les comportements résidentiels et de mobilité, qui se traduira par un desserrement rapide et diffus de l’habitat d’une part, et par une généralisation des navettes quotidiennes domicile-travail d’autre part. Dans ce schéma, il n’est pas exclu que des villes comme Thiès et Touba fonctionnent comme des lieux-dortoirs de Dakar désormais accessible en quelques dizaines de minutes seulement (45 mn au maximum à partir de Thiès et 120 mn au plus à partir de Touba). Certains comportements de mobilité observés depuis la mise en service des autoroutes à péage augurent une telle configuration et devraient rapidement faire l’objet d’études approfondies afin de mieux saisir les changements à l’œuvre.

L’occupation du sol le long du corridor : un foncier rural en sursis ?

Les transformations spatiales en cours sur le corridor Dakar-Touba nous poussent à formuler une recommandation forte dans le sens d’une réalisation diligente de plans directeurs d’aménagement spécifiques (ou d’occupation des sols) pour les communes et agglomérations traversées par les autoroutes. Le passage de celles-ci a en effet favorisé une brusque ruée vers la terre dont les conséquences risquent d’être très fâcheuses si des mesures de rationalisation de l’occupation du sol ne sont pas prises immédiatement.

La spéculation foncière y est devenue, avec la complicité de propriétaires terriens locaux, un phénomène croissant encouragé par des promoteurs privés qui cherchent à anticiper une probable bulle foncière. Ainsi, si la proximité avec l’autoroute peut être perçue comme un facteur d’attractivité pour les villes et villages localisés le long du corridor Ila Touba, il n’en demeure pas moins qu’elle pourrait constituer une menace pour le foncier rural assailli et charcuté par endroits au grand dam des petits exploitants obligés, dans certains cas, de se reconvertir dans d’autres activités.

La réforme de la gouvernance municipale et l’aménagement foncier du territoire constituent aujourd’hui des priorités régaliennes afin de mettre un terme aux affectations abusives et frauduleuses du territoire national liées à l’irruption de grands investisseurs et à la réalisation de grands aménagements (aéroport, ports, pôles urbains, autoroutes, etc.).
Conclusion

L’autoroute Ila Touba ne se limite pas à une infrastructure de transport ; elle constitue un catalyseur stratégique pour la refondation économique et territoriale du Sénégal. Pour maximiser son potentiel, il est essentiel d’accompagner son déploiement par des politiques publiques cohérentes : régulation foncière, planification urbaine, développement d’industries locales et mise en place d’un observatoire des mobilités. Si ces mesures sont mises en œuvre, le corridor Dakar-Touba pourrait devenir l’un des principaux moteurs de la transformation économique nationale et régionale.

Dr Cheikh GUEYE-Géographe, Facilitateur du Dialogue national, Secrétaire exécutif du Rapport alternatif sur l’Afrique (RASA).

Dr Ousmane THIAM-Géographe-spécialiste de prospective à l’Agence nationale de l’aménagement du territoire (ANAT).

Dr Moubarack LO, Statisticien-Economiste, Dg du Bureau Prospective économique, auteur de nombreuses publications sur l’émergence
économique.