Jubaanti Koom : un rêve coûteux sur fond de déni budgétaire (par Ibrahima Thiam)

Le décor était grandiose, le verbe assuré, lambiance triomphale. Cest donc depuis la scène du Grand Théâtre national que le Premier ministre Ousmane Sonko a dévoilé ce quil appelle son plan de redressement économique. Mais entre les effets dannonce et les réalités budgétaires du pays, un gouffre béant se creuse. Car ce qui a été présenté nest pas un plan : cest un récit. Un récit politique destiné à rassurer les militants, galvaniser les convaincus, mais sans ancrage sérieux dans les contraintes économiques que traverse le Sénégal.

La déclaration phare — « Nous navons pas besoin du FMI » — est à limage de cette posture : martiale, souverainiste, séduisante sur le papier mais déconnectée des faits. Le Sénégal traverse une crise économique sévère. Le déficit budgétaire atteint 14 %, la dette publique s’élève à 119 % du PIB, et les marchés financiers ont plusieurs fois abaissé la note du pays. Dans ce contexte, afficher un rejet pur et simple des partenaires internationaux ne relève pas du courage, mais de la posture. Il ne suffit pas de tourner le dos aux institutions financières : encore faut-il avoir une alternative crédible. Elle na pas été présentée.

À défaut de capitaux extérieurs, le gouvernement mise donc sur un financement strictement endogène, fondé sur une série de taxations tous azimuts : jeux en ligne, mobile money, tabac, visas touristiques. Une logique de matraquage fiscal qui n’épargne rien, sauf les vraies réformes. Taxer lexistant sans créer de nouvelles bases productives, cest épuiser la bête avant même de la faire courir. Ce nest pas une stratégie, cest un repli.

Les promesses de réduction de la taille de l’État, doptimisation des dépenses publiques, ou encore dappel à l’épargne populaire relèvent davantage de la rhétorique que de lingénierie budgétaire. Cela fait des décennies que les gouvernements parlent de « rationaliser », sans jamais bousculer les habitudes. Lidée de mobiliser l’épargne nationale est louable, mais dans un contexte où la confiance seffondre, cela revient à demander aux citoyens de combler les trous dun État désargenté, sans transparence ni garantie.

Même les propositions les plus audacieuses tombent à plat. Le projet de céder des portions danciennes bases militaires françaises pour en tirer des revenus fonciers est déjà bloqué par les forces armées. Une idée mal préparée, mal négociée, et qui s’échoue sur les rochers du réel. Un épisode révélateur dun amateurisme politique devenu système.

Et pourtant, malgré labsence de moyens clairs, le Premier ministre vise haut : faire passer le déficit de 14 % à 3 % dici 2027, tout cela sans creuser la dette. Une telle promesse, dans un contexte aussi contraint, sans levier monétaire, sans levier dendettement, sans partenaires extérieurs, relève plus de lillusion que de lambition. Ce nest pas une projection : cest une incantation.

Pour finir, on nous parle du « Plan Sénégal 2050 ». Une vision à vingt-cinq ans alors que le gouvernement peine à financer les trois prochains mois. On se projette dans lavenir lointain comme pour faire oublier la fragilité du présent. Mais les chiffres ne mentent pas, les marchés ne pardonnent pas, et les populations nattendront pas 2050 pour demander des comptes.

Il faut avoir le courage de le dire : ce plan est une construction politique, pas une réponse technique. Il mise sur l’émotion, le nationalisme économique, le rejet de lautre, et le verbe haut mais il évite lessentiel : la rigueur, la cohérence, la méthode. Les Sénégalais ne se contentent pas dun discours lyrique servi depuis la scène du Théâtre national. Ils attendent une politique économique sérieuse, fondée sur des choix clairs, courageux, et solidement ancrés dans les réalités du pays comme dans les dynamiques mondiales.

Lavenir du pays ne se joue pas dans la gestuelle. Il se joue dans la vérité.

Ibrahima Thiam, président du parti ACT