Le Sénégal est souvent cité comme un modèle de démocratie en Afrique de l’Ouest, fort de sa stabilité politique et de son pluralisme social. Pourtant, derrière cette image, s’exprime une dynamique inquiétante : la montée en puissance de mouvements qualifiés d’anti droits. Ces groupes, organisés ou informels, se caractérisent par une opposition systématique aux réformes en faveur des droits humains, notamment les droits des femmes et des jeunes. Leur influence croissante produit des conséquences dramatiques : recul normatif, restriction de l’espace civique, aggravation des violences basées sur le genre et fragilisation des perspectives démocratiques.
Une aggravation des violences sexistes et sexuelles
Les discours et actions des mouvements anti droits renforcent la banalisation de la violence. En s’opposant à l’éducation complète à la sexualité, ils privent les jeunes filles d’outils de prévention contre les grossesses précoces, les mariages forcés et les abus sexuels. Le refus d’élargir l’accès à l’avortement médicalisé en cas d’inceste ou de viol contraint chaque année des milliers de femmes et de filles à recourir à des pratiques clandestines, souvent au prix de leur vie. Les campagnes de stigmatisation légitiment la culture de l’impunité pour les auteurs de violences sexistes, décourageant les victimes de porter plainte. De même, ces mouvements anti droit infligent une double marginalisation aux filles: en tant qu’enfants et en tant que femmes avec la validation des mariages précoces et forcés qui compromettent leur éducation et les enferment dans un cycle de pauvreté. Le refus de promouvoir les droits sexuels et reproductifs augmente les grossesses adolescentes et les abandons scolaires. La persistance des mutilations génitales féminines (MGF), tolérées ou minimisées, viole directement leur intégrité corporelle et leur dignité humaine. Ces pratiques compromettent la capacité des nouvelles générations à jouir pleinement de leurs droits fondamentaux et à participer au développement du pays. Par conséquent, les femmes et les filles restent exposées à une spirale de violence qui touche leur santé physique, leur bien-être psychologique et leur avenir socio-économique.
Une violation flagrante des engagements internationaux
En bloquant les réformes juridiques et sociales, ces mouvement placent le Sénégal en contradiction avec ses engagements internationaux tels que: La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes ( CEDAW ) ratifiée d’ 1985, demeure lettre morte face au maintien du Code de la famille discriminatoire de 1972;
Le Protocole de Maputo, ratifié en 2004, exige la protection des femmes contre les violences et l’accès à l’avortement en cas de viol ou d’inceste. Rien n’a été fait en ce sens; Les Objectifs de développement durable (ODD 3 et 5) sur la santé et l’égalité des sexes sont compromis. Les mouvements anti droits ne se contentent donc pas de freiner les progrès, ils entraînent le Sénégal dans un recul normatif contraire aux standards internationaux.
Vers une régression systémique des droits humains
Les conséquences dépassent le cadre des droits des femmes pour toucher l’ensemble de l’espace civique Les féministes et défenseures des droits humains sont la cible d’attaques, de cyberharcèlement et de menaces physiques, ce qui limite leur liberté d’expression et leur sécurité. La peur conduit à l’autocensure des universitaires, journalistes et associations, empêchant un débat public ouvert et pluraliste.
Les institutions démocratiques se laissent influencer par les pressions religieuses et populistes, ce qui réduit leur indépendance et affaiblit l’État de droit. En s’attaquant aux droits des femmes et des filles, les mouvements anti-droits fragilisent l’ensemble des droits humains Ils redéfinissent la citoyenneté de façon exclusive, où seuls certains groupes conformes aux normes conservatrices sont considérés comme légitimes en installant une hiérarchie entre droits « acceptables » (liberté de culte) et droits « rejetés » (égalité de genre, autonomie corporelle), fragilisent la sécurité collective et en favorisant la polarisation, la haine et les tensions sociales. Leur action ne constitue pas une simple contestation idéologique, c’est une entreprise de régression systémique qui met en péril le socle des droits humains universels.
L’essor des mouvements anti droits au Sénégal ne se limite pas à un débat de valeurs, il engendre des conséquences dramatiques et mesurables sur la vie des femmes et des filles, tout en compromettant l’avenir démocratique et les engagements internationaux du pays.
Face à ce danger, l’analyse scientifique révèle une vérité incontournable : protéger les droits des femmes, c’est protéger la démocratie et les droits humains dans leur ensemble. Toute complaisance face aux mouvements anti droits équivaut à cautionner la violence, l’exclusion et la régression sociale.
Oussama Monica Sagna
Juriste – Journaliste – Féministe