Mitiku Belachew, chirurgien de réputation internationale, n’est pas russe mais ethiopien

« Son nom à une consonnance russe ou autre et ça trompe, il est bien africain d’Ethiopie et c’est lui qui a mis au point cette technique chirurgicale mondiale contre l’obésité.  Tout est possible,le savoir n’a pas de couleur. »P B CISSOKO

Berger jusqu’à 12 ans, cet Ethiopien est devenu un chirurgien de renommée internationale en inventant l’anneau gastrique par cœlioscopie.

Par Emeline Wuilbercq

Le chirurgien éthiopien Mitiku Belachew à Addis-Abeba, en juin 2016. Emeline Wuilbercq

Mitiku Belachew se souvient encore de son regard implorant. L’infirmière était obèse et malheureuse : « Aidez-moi à guérir », l’avait-elle supplié il y a quarante ans à l’hôpital civil de Bavière, à Liège. Le chirurgien savait qu’il existait outre-Atlantique une solution chirurgicale pour le traitement de l’obésité morbide. C’était marginal, les complications étaient dangereuses. « Peu importe, lui répond sa patiente. Pour moi, maintenant, c’est une question de vie ou de mort. » Après une bonne préparation, Mitiku Belachew l’opère. Le bouche-à-oreille s’emballe. « A partir de ce moment-là et malgré moi, je suis devenu un spécialiste de la chirurgie de l’obésité », s’amuse-t-il aujourd’hui.

Lire aussi Grâce aux progrès enregistrés en Afrique, l’espérance de vie augmente dans le monde

Malgré lui, car jamais Mitiku Belachew n’aurait cru emprunter cette voie. Pour parler de son parcours, l’Ethiopien de 74 ans aime citer Gandhi : « Il y a mille vies dans une vie. » Avant de devenir un chirurgien de renommée internationale, Mitiku Belachew était berger. Né dans une famille de neuf enfants, il prenait soin des vaches, des taureaux et des chèvres dans un village situé à 150 kilomètres d’Addis-Abeba.

« J’y suis allé au culot »

« J’ai commencé ma vie avec ce qui était disponible », dit-il. C’est-à-dire pas grand-chose : pas de route pour se déplacer, pas d’hôpital pour se soigner, pas d’école pour étudier. Ou plutôt une seule école, « celle de la nature ». La mort inexpliquée d’un frère « grand, beau et fort » le fait changer de trajectoire. Il sera médecin.

A 12 ans, il quitte village et troupeau pour les bancs de l’école de la capitale. Sa mémoire d’éléphant lui permet de sauter plusieurs classes. « J’étais sans le sou, alors j’y suis allé au culot : j’ai demandé à un couple britannique de financer mes études en échange de travaux domestiques », raconte-t-il. L’élève prodige impressionne, obtient les meilleures notes et ne garde pas longtemps son job de garçon de maison.

Lire aussi L’espérance de vie a progressé de cinq années depuis 2000, selon l’OMS

Au début des années 1960, bac et bourse en poche, il peut entrer dans les plus prestigieuses universités anglo-saxonnes. Contre toute attente, il choisit la Belgique, qu’il baptise le « pays du soleil froid ». « C’était un pays détesté à l’époque pour son action au Congo, précise M. Mitiku. Je ne parlais pas un mot de français mais j’aimais les défis. » Le jour, il étudie la médecine à Liège. La nuit, il plonge dans la littérature pour parfaire son français et traduit mot à mot Fanny de Marcel Pagnol avec un vieux dictionnaire.

L’étudiant s’acclimate au « petit racisme ordinaire » qui s’estompera avec les années et la notoriété. En 1968, il est aux premières loges de la « révolution » qui a gagné la Belgique. Mais son goût pour la politique prendra fin quand, en 1974, le régime militaire du Derg qui renversa Haïlé Sélassié fit couler le sang de ses compatriotes pour justifier un idéal révolutionnaire. Il se concentre sur ses études et obtient son diplômé en 1970. A Liège, puis à Huy, une petite ville de 21 000 âmes, Mitiku Belachew se familiarise avec sa spécialisation : la chirurgie digestive.

« Courts-circuits » intestinaux

Ce n’est qu’en 1993 que le médecin fera sa révolution. Jusqu’à cette date, et depuis la requête de l’infirmière, Mitiku Belachew réalisait des « courts-circuits » intestinaux qui consistaient à exclure une partie de l’intestin. « J’ai tout arrêté lorsque j’ai perdu mon premier patient à cause de complications liées au manque de suivi », explique-t-il. Mais les malades continuent de se presser à son bureau, et le chirurgien refuse de les abandonner. Il se renseigne sur d’autres techniques apparues entre-temps telle la gastroplastie par agrafage, qui restreint la capacité de l’estomac. Le chirurgien délaisse l’intestin. « La technique était efficace car elle permettait de réduire la quantité d’aliments ingérés, mais le patient était incapable de manger correctement et pouvait souffrir d’intolérance alimentaire », poursuit-il.

Le chirurgien éthiopien Mitiku Belachew à Addis-Abeba en juin 2016. Emeline Wuilbercq

Au fil de ses recherches, il entend parler d’un cerclage gastrique inventé par un chirurgien d’origine ukrainienne, le docteur Kuzmak, qui se place par chirurgie conventionnelle. A l’époque, c’est le début de la chirurgie cœlioscopique, une technique opératoire moins invasive qui permet de réaliser une intervention chirurgicale sans ouvrir le ventre du patient.

Mitiku Belachew invente alors un anneau modulable à poser autour de la jonction entre l’œsophage et l’estomac sous cœlioscopie. « C’était une première mondiale car l’obésité était considérée comme une contre-indication pour cette chirurgie dite “laparoscopique” », explique-t-il avec fierté.

Après des expériences sur des cochons, des dizaines de prototypes d’anneaux et un feu vert du comité d’éthique, la première opération a lieu en septembre 1993. Depuis, près d’un million de personnes à travers le monde ont été opérées avec cette technique qui permet au patient obèse de perdre beaucoup de poids.

« Chirurgies mutilantes »

L’anneau en silicone se trouve exposé dans un coin de la résidence cossue de Mitiku Belachew à Addis-Abeba. S’il est heureux que son invention ait aidé des milliers de patients, il regrette que la chirurgie de l’obésité soit devenue un business lucratif. Un anneau coûte entre 4 000 et 5 000 dollars (entre 3 500 et 4 400 euros). « Je n’aime pas ce côté mercantile de la chirurgie », explique celui qui a refusé de faire breveter cette invention à son nom. Mais qui a quand même assez bien gagné sa vie pour acquérir un château en Belgique et plusieurs résidences secondaires à Rabat, à Paris et en Dordogne.

Cette technique lui a permis d’être reconnu parmi ses pairs et de faire le tour du monde. Il a reçu des lettres par milliers. Parfois des déclarations enflammées de patientes. Des critiques aussi. « Ce n’est pas une chirurgie miraculeuse, poursuit-il. La clé de la réussite, c’est l’accompagnement des patients. Malheureusement, certains chirurgiens sans scrupule, qui sont de bons techniciens mais pas des spécialistes de la chirurgie de l’obésité, les opèrent puis les abandonnent. »

En trente ans de carrière, Mitiku Belachew a opéré 30 000 patients au centre hospitalier régional de Huy, devenu entre-temps un lieu d’excellence de la chirurgie de l’obésité. Lorsqu’il a pris sa retraite, il a complètement abandonné cette spécialité, mais continue d’opérer à Addis-Abeba. Aujourd’hui, en Europe, la technique du « by-pass » gastrique – qui consiste à réduire le volume de l’estomac et à modifier le circuit alimentaire – est plus en vogue que l’anneau gastrique, car la perte initiale de poids est plus forte. Mais cela ne dérange pas le moins du monde le professeur.

Si le septuagénaire regrette que ces « chirurgies mutilantes » soient de retour, il a pris du recul. L’anneau fait partie de sa vie, mais il préfère désormais se concentrer sur la chirurgie laparoscopique, peu invasive, qu’il enseigne aux étudiants en chirurgie d’Addis-Abeba. Et, de temps à autre, il quitte le bloc opératoire pour retrouver son village natal, loin de son confort européen. Là où il n’y avait rien il y a soixante ans, il a fait construire une école et un dispensaire. Et un tukul, une hutte traditionnelle, où, quand il reçoit, il ne mentionne que très rarement l’anneau qui a changé sa vie.

Emeline Wuilbercq(contributrice Le Monde Afrique, Addis-Abeba)

https://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/06/22/mitiku-belachew-le-seigneur-de-l-anneau_4955926_3212.html

Mitiku Belachew

Biographie

Belachew, le seigneur de l’anneau. www.lavenir.net/cnt/32918: 2007 Le docteur Belachew, un chirurgien exceptionnel, n’opérera plus à Huy .

Il est le père de l’anneau gastrique «C’est le plus grand chirurgien que j’ai connu, raconte Jean Bury, médecin hématologue et ancien directeur du CHRH. Un type exceptionnel. J’ai eu la chance d’opérer à ses côtés, je peux vous dire, que comme on dit dans le jargon, c’est une patte chirurgicale.

Tout, chez lui, est naturel. Sur le plan humain, c’est un type remarquable, un homme exceptionnel. Il mériterait d’être mieux reconnu, en particulier par l’université de Liège. Il a été le premier à réfléchir sur le problème de l’obésité. Pourquoi ne le fête-t-on pas à Huy? Je connais la décision du docteur, mais jusqu’à présent, nous n’avons toujours pas reçu de lettre officielle.

C’est le docteur Belachew, il est comme ça et je le respecte ainsi. Je peux vous dire que dès que les gens comprendront qu’il n’opérera plus à Huy, ils voudront le fêter.»

C’est même carrément une rue qu’on pourrait attribuer au docteur Mitiku Belachew, tant son apport à la ville de Huy a été essentiel durant ces 30 dernières années. Jamais quelqu’un n’a donné autant d’aura à la ville de Huy. Son opération, le 1erseptembre 1993, a fait connaître la ville de Huy dans pratiquement tous les pays du monde. À cette époque le cerclage gastrique était déjà pratiqué en chirurgie ouverte aux USA. En 1991, le DrMitiku Belachew met sur pied l’élaboration du cerclage gastrique par laparoscopie pour le traitement des personnes obèses. «C’était un tout grand défi, raconte-t-il. Faire des petits trous chez des personnes qui avaient une montagne de graisse. Nous avons essayé des centaines de prototype sur des cochons.» Et le 1erseptembre 93 arriva. «C’est une date importante dans ma carrière, sourit le docteur Belachew. Pourquoi à Huy? Huy, c’est ma maison, c’est un peu chez moi. Je me souviens très bien de ce jour-là. Ma patiente était une Limbourgeoise. Ses photos, avant et après l’opération, ont fait le tour du monde. Elle était devenue une vraie pin-up.

Nous avons alors opéré 25 personnes, sans frais.» Une découverte qu’on s’arrache dans le monde entier. Pour que cette nouvelle opération soit effectuée en toute sécurité, il faut que le chirurgien possède une bonne expérience en chirurgie de l’obésité mais également une bonne formation. En mars 1994, Belachew organise un «workshop»: 26 chirurgiens viennent du monde entier (Allemagne, France, Argentine, Australie…) On l’imite partout, il donne des conférences dans le monde entier, l’hôpital hutois acquiert une grande renommée, tout ça un peu beaucoup à cause du travail du docteur Belachew. «C’est le docteur Honoré qui m’a convaincu de venir à Huy en 1978, se souvient Mitiku Belachew. Je suis un peu arrivé dans un milieu hostile.

Nous avons créé un service médical B.Des jeunes médecins m’ont fait confiance et nous avons ouvert une école d’infirmières où j’ai enseigné, ouvert les soins intensifs, un service d’urgence…» À ce jour, plus de 250000 anneaux gastriques ont été implantés partout dans le monde, ce qui a permis à des milliers de patients de perdre du poids, d’améliorer leur santé et d’avoir une meilleure qualité de vie.

On lira ceci

À Liège puis à Huy, Mitiku Belachew se spécialise dans la chirurgie digestive qui fera sa notoriété. Ses recherches l’amènent, en effet, à découvrir un cerclage gastrique inventé par un chirurgien d’origine ukrainienne, le docteur Kuzmak, qui, jusqu’alors, se place par la voie chirurgicale conventionnelle. Le Docteur Belachew adapte l’idée, en inventant un anneau modulable à poser à la jonction entre l’œsophage et l’estomac sous cœlioscopie, c’est-à-dire sans nécessiter l’ouverture du ventre du patient.

La première opération a lieu en 1993, après les phases de test et le feu vert du comité d’éthique. Depuis, près d’un million de personnes à travers le monde ont bénéficié de cette technique de traitement de l’obésité. En trente ans de carrière, Mitiku Belachew a opéré 30 000 patients au centre hospitalier régional de Huy, devenu, de ce fait, un lieu d’excellence de la chirurgie de l’obésité.

Ayant pris sa retraite en 2007, ce spécialiste internationalement reconnu partage aujourd’hui son temps entre son Éthiopie natale – où il continue d’opérer et de mener des projets humanitaires – et sa Wallonie d’adoption. En 2015, il a publié son autobiographie : Le berger devenu chirurgien.

Pour ce parcours exceptionnel et le rayonnement qu’il a apporté à la Wallonie, Mitiku Belachew a été élevé au rang d’officier du Mérite wallon, le 15 septembre 2016.