Les humains, animaux supérieurs ou gravement perturbés ?

Les deux, mon Général. Je ne vais pas me faire que des amis en écrivant cela. Pourtant, de plus en plus de chercheurs sérieux et consciencieux, sont en train de se poser la question. OK, un animal supérieur, on veut bien l’admettre, encore que le qualificatif d’animal ne convient pas à tout le monde. Mais, « gravement perturbé », c’est évident, pour l’instant, ça ne passe pas. Alors pour mes amis lecteurs, un peu plus curieux que les autres, je vais tenter d’expliquer.

Tout le monde connaît le principe de la compensation. Un aveugle compense son infirmité en développant d’autres facultés (l’ouïe, l’odorat, le toucher, etc.). L’un des cas le plus célèbre est l’aveugle Ray Charles, un génie de la musique et du son. Et bien les humains sont en réalité de grands infirmes, peu gâtés par la nature mais qui ont compensé en développant d’autres facultés.

Cela est le plus souvent ignoré pour deux raisons principales. La première c’est que l’origine de cette infirmité de la lignée humaine remonte à plusieurs millions d’années. La deuxième, c’est que le Ray Charles que nous sommes tous, est tellement fier de ses exploits, qu’il en oublie son infirmité. Il y a un peu plus de 7 millions d’années, en effet, notre famille animale, les Hominidés, a donné naissance à la lignée humaine dans des conditions absolument rocambolesque. Nous faisons en fait partie de ce petit groupe de singes sans queue qui, probablement chassés par la gent simiesque, dut quitter la forêt protectrice pour la savane.

La station debout rendue nécessaire (il fallait se redresser pour voir le plus loin possible, le prédateur menaçant) opéra un changement morphologique de nos femelles qui faillit être fatal à notre espèce naissante. Nous, humains, ne devons notre existence qu’à la naissance de petits prématurés, les seuls à pouvoir franchir le bassin rétréci de leurs mères. Ce fut à l’époque une véritable hécatombe de mortes en couche et d’enfants mort-nés. Cet accident de l’évolution explique d’ailleurs fort bien la surprenante différence morphologique entre la lignée humaine et les autres membres de notre famille biologique. Imaginons un instant, papa et maman, perdus dans la savane, à la merci des prédateurs et handicapés de surplus par la charge d’enfants prématurés et fragiles. S’il avait existé, un biologiste de l’époque aurait donné peu de chance de survie à cette très bizarre espèce animale.

Que s’est-il donc passé ? Nous ne le savons évidemment pas avec certitude mais les hypothèses des scientifiques semblent converger vers un double phénomène entrecroisé de l’évolution. Il y eut d’une part une sélection naturelle féroce. Seuls survécurent ceux dont la stratégie d’évitement des dangers, était la plus efficace et d’autre part, un changement dans le régime alimentaire. Il fallait en effet des aliments plus riches pour alimenter un cerveau demandeur de performances. Cela fut probablement obtenu par la consommation d’aliments cuits, et donc, à terme par la maîtrise du feu. Comment alors, ne pas rapprocher ce cheminement douloureux de nos débuts de l’explosion de vie et d’activités qui s’en est suivie ? Tout s’est probablement passé comme après une guerre. On s’éclate, on consomme, on détruit. On détruit en particulier cette nature qui nous a fait tant souffrir. L’héritier souffreteux de ces petits prématurés se venge d’un destin funeste en devenant, le croit-il, le maître du Monde. Qui peut le lui reprocher ? Mais en même temps, n’est-on pas tenté de le raisonner, de lui dire que ses excès risquent fort de se retourner contre lui et le détruire, cette fois, de façon définitive ?

François-Michel MAUGIS

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