Espions journalistes ou journalistes espions ?

That is the question. La question est en effet légitime et se pose souvent. Lors de la sortie de mon roman d’espionnage « Le rêve éveillé du calife » (390 pages – Ella Editions) des lecteurs, lors des séances de dédicaces, m’ont plusieurs fois interrogé à ce sujet. Comme ce n’est pas la première fiction que je consacre au monde du  Renseignement, certains s’imaginent que pour bien connaître ce milieu je dois nécessairement avoir des accointances avec les services, comme le défunt Gérard de Villiers auteur de la célèbre série des SAS. Cela me donne l’occasion d’apporter quelques précisions et réflexions sur les relations parfois incestueuses, ou pour le moins ambigües, entre les journalistes et l’univers des services secrets.

D’entrée de jeux disons une chose, il n’est pas nécessaire d’avoir été flic pour faire un bon auteur de polar, pas plus qu’espion pour écrire des romans d’espionnage. Même si ça peut aider. Les policiers en effet se reportent souvent dans leurs histoires à des enquêtes qu’ils ont conduites ou à des affaires qu’ils ont connues grâce à leurs collègues.  De même que les espions peuvent, malgré la loi du silence et du secret, faire de discrètes références à certaines de leurs missions. Au demeurant de grands romanciers ont exercé dans une période de leur existence le métier d’agent de renseignements, tels Frédéric Forsyth qui appartint au MI6 (le Secret Intelligence Service Britannique) ainsi que Percy Kemp. Ian Flemming aussi bien sûr, auteur des James Bond 007, qui travailla dans les services secrets de la marine ou encore John Le Carré, tous deux incarnent cette tradition Britanniques d’écrivains-espions ou d’espions-écrivains. On pourrait encore citer Graham Greene et Somerset Maugham mais la liste pourrait être beaucoup plus longue.

Les journalistes et les espions ont un point commun, les uns et les autres sont à la recherche de l’information, les premiers afin de « renseigner » les lecteurs et les seconds les gouvernements. En revanche les méthodes diffèrent dans la quête de ces informations-renseignements. Aux journalistes, l’investigation, les fuites gouvernementales grâce à des  » sources »,  les témoignages, les interviews, etc., autrement dit tout ce qui est légal.  Pour les espions au contraire tout est « illégal » au point qu’on les appelle les « illégaux ». Ils opèrent, au mépris des lois internationales dans les pays étrangers et emploient des procédés souvent peu recommandables et immoraux qui vont de l’intimidation au chantage – y compris sexuel- en passant par la rétribution des renseignements. Ils jouent sur les faiblesses humaines pour obtenir satisfaction car la chair est faible et l’appétit est grand pour l’argent et les honneurs.

Là où il peut exister une certaine confusion des genres c’est lorsque des officiers de renseignements emploient pour leur « légende » une « identité » journalistique avec fausse carte de presse comme il existe des vrais-faux passeports. Les espions affectionnent ce genre de couverture car elle leur permet de voyager librement dans le pays, de s’informer innocemment et de contacter des individus en toute sécurité. Du moins tant que leur couverture n’est pas dévoilée. Pour avoir un peu trop abusé de ce stratagème les barbouzes recourent plus fréquemment ces dernières années aux couvertures qu’offrent les ONG et l’humanitaire.

A l’inverse il peut arriver que des journalistes acceptent exceptionnellement de fournir quelques informations non stratégiques aux services à l’occasion d’un reportage dans des pays étrangers « totalitaires » peu accessibles aux touristes et à fortiori aux agents de renseignements, sauf ceux travaillant sous couverture diplomatique, identifiés par les autorités locales et leur service de contre-espionnage.

C’était le cas dans les années 1980 – 1990 pour le Vietnam, Cuba, les pays de l’Est, etc. Il existe aussi des reporters qui franchissent le Rubicon en acceptant de devenir des « honorables correspondants » par patriotisme ou contre rémunération. Tout est affaire de morale et de conscience professionnelle.

Pour ma part, et même si je suis allé à Cuba et au Vietnam, j’ai eu la chance de rencontrer des personnes appartenant ou ayant appartenu à ces services dits de l’ombre. Je peux en parler aujourd’hui car il y a prescription. Le premier d’entre eux, avec lequel je suis devenu ami, s’appelle Bob Maloubier. Il est mort il y a quelques années après une vie hors du commun commencée dans la résistance à l’âge de 17 ans. Il avait été recruté par le SOE, le service secret créé par Churchill « pour mettre l’Europe nazie à feu et à sang » à travers l’infiltration de saboteurs derrières les lignes allemandes. Bob Maloubier, qui avait un style British incroyable, devait après guerre fonder le fameux les célèbres nageurs de combat alors basés à Aspreto en Corse. J’ai aussi croisé la route d’un certain Constantin Melnick qui fut conseiller pour les services spéciaux de Michel Debré alors Premier ministre du général de Gaulle, avant de travailler pour la Rand Corporation américaine, un think tank proche de la CIA. J’ai également côtoyé, après l’avoir interviewé pour une radio du groupe Ouest-France, Xavier Maniguet dont l’histoire à retenu qu’il barra le voilier « L’Ouvéa » lors de l’affaire Greenpeace. Mais ma plus belle rencontre fut celle avec le général Alain de Gaigneron de Marolles, qui fut chef du service action et directeur du renseignements du SDECE (ancêtre de la DGSE). Il possédait une propriété proche de mon domicile où nous nous sommes rencontrés plusieurs fois et nous avions le projet d’écrire un livre en commun. Sa mort, prématurée, ne nous a pas permis de le faire et je le regrette beaucoup car c’était lui aussi un homme exceptionnel. Pour mon dernier roman « Le rêve éveillé du calife », avoir croisé des Bérets verts américains en Somalie et des snipers de régiments d’élite français en Afrique m’a considérablement aidé à imaginer certaines scènes censées se dérouler en Irak. Pour écrire un roman, la documentation est importante mais l’expérience sur le terrain est irremplaçable. Je dois beaucoup à tous ces hommes, en particulier pour « So-Ho et le Complot du président » et « Le Rêve éveillé du calife » et à toutes ces années, une quinzaine à avoir partagé leur quotidien que ce soit durant la première guerre du Golfe, en Bosnie, en Albanie, au Kosovo, au Cambodge et ailleurs.

Mais comme j’ai coutume de dire aux lecteurs curieux de ce côté mystérieux des services spéciaux ces personnes que j’ai connues un jour ont toujours respecté vis-à-vis de moi leur obligation de réserve car pour elles le silence est d’or. Et je n’ai pas davantage cherché à enfreindre cette règle, prix de cette confiance mutuelle. Elles m’ont simplement permis au fil de nos rencontres de mieux comprendre un univers par définition secret, dont une très belle série sur Canal + « Le Bureau des légendes » restitue au plus près l’atmosphère.

Ah, j’oubliais il existe une dernière différence entre les journalistes et les espions, les premiers sont là pour révéler ce qui est caché, et les seconds pour éviter que certaines choses ne soient connues du public.  Alors forcément nos professions, de ce point de vue, sont antinomiques.

Jean-Yves Duval, directeur d’Ichrono