Entretien avec Dr Adamou Siddo : « Aucun développement individuel comme collectif ne peut se faire en s’appuyant uniquement sur la langue ou la culture des autres » ( NIGER)

INESI – Pouvez-vous vous présenter (cursus scolaire et universitaire, vie professionnelle) ?

Adamou SIDDO (AS) : Je suis Dr. SIDDO Adamou. J’ai effectué mes études à Niamey où j’ai été reçu au Baccalauréat du Secondaire, Série A4 à la Ligue Mondiale Islamique (ILMI). Après cette étape, je me suis inscrit au Département de Lettres Modernes de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’Université Abdou Moumouni de Niamey. De cette institution, j’ai obtenu le Diplôme d’Études Littéraires (DUEL), la Licence et la Maîtrise, option, Lettres Modernes, avec une spécialité en Étude africaine sur les identités africaines et féminines. J’ai poursuivi mes études au Burkina Faso à l’Université Joseph Ki Zerbo I de Ouagadougou où j’ai obtenu mon Diplôme d’Études Approfondies (DEA), Option Lettres Modernes avec une spécialité en Sémiotique du Cinéma. Entre temps, je suis revenu au Niger pour m’inscrire en Thèse de Doctorat, cette fois-ci au Département de Lettres, Modernes devenu entre-temps Département de Lettres, Arts et Communication. (LAC). J’ai obtenu mon Doctorat en Lettres, Arts et Communication, Option, Littérature Africaine Contemporaine.

Mes travaux de recherche ont porté sur l’œuvre de Boubou Hama, un des plus grands auteurs nigériens. Dans ces travaux, j’ai interrogé son œuvre à travers le Sujet : « L’intentionnalité didactique et ses modalités dans l’œuvre de Boubou Hama ». Il s’est agi d’étudier les méthodes et théories à travers lesquelles, Boubou Hama enseigne son lecteur. Parallèlement à cette formation, j’ai suivi une carrière professionnelle dans le domaine de l’enseignement du Français. Je suis en effet, Professeur d’Enseignement Secondaire(PES). Ceci m’a permis d’encadrer du Collège d’Enseignement Secondaire aux classes du Lycée. Depuis peu, je suis Chercheur-Associé au Département Lettres, Arts et Communication de l’UAM où j’assure des cours de littérature africaine. Depuis Juillet 2018, j’assure aussi le statut de Maître-Assistant au Département de Linguistic and Foreign Languages de Bayero University, Kano (Federal Républic, Nigeria).

INESI – Pouvez-vous nous présenter Boubou Hama et sa place dans le système éducatif nigérien ? Est-il enseigné à l’école ou ostracisé comme le fut longtemps Cheick Anta Diop ?

AS : Boubou Hama est un homme né en 1906 à Fonéko, un petit village de la brousse africaine de Téra, Ouest du Niger. Il est plus connu comme homme politique pour avoir assumé la direction politique du Parti Progressiste Nigérien, section Rassemblement Démocratique Africain, (PPN/RDA). Il est cependant, un enseignant attitré en étant d’abord le premier instituteur du Niger. Sa participation dans l’éducation du système éducatif n’est donc pas à démontrer. Il est en effet, à la base de la conception de la production d’une part importante portant sur l’Histoire des groupes ethniques du Niger : Songhoy, Touareg, Gobir, etc. En même temps, il a participé à la conception de plusieurs manuels scolaires pour la formation du jeune nigérien. Son œuvre littéraire doit se lire d’ailleurs comme une seule œuvre adressée exceptionnellement à la jeunesse. Malgré ce potentiel, le nom de Boubou Hama reste encore peu ou pas connu de la mémoire collective du Niger. Il a subi pendant longtemps à l’image de Cheick Anta Diop, un sévère ostracisme lié à la dictature du régime de Seyni Kountché qui a dû opérer le Coup d’État contre leur régime en Avril 1974. Moumouni Farmo désigne cet état de fait par l’ »anonymisation ». Il a été mis sous l’éteignoir par le système politique en vigueur à cette époque. Cependant depuis peu, un regain pour ses travaux le remet sur la scène littéraire nationale. Nous osons espérer que cette propension aura de beaux jours.

INESI – Pour Boubou Hama, par exemple, « Bi, « hier », est Bi Bio, le « double d’hier », mais aussi Souba, « demain » » (Le double d’hier rencontre demain, Paris, Union générale d’éditions, Coll. 10-18, Série La voix des autres, 1973, p. 13). Peut-on y voir un corpus de philosophie endogène ?

AS : Boubou Hama propose à travers ses personnages de Bi, « hier », Bi Bio, le « double d’hier » et Souba, « demain » une autre dimension de la vision du monde dans un rapport temporel dans le lequel, le passé vient féconder le présent afin de fonder un futur merveilleux. En cela, l’auteur offre un autre canal de valorisation de la pensée africaine en relation avec la modernité. Cette philosophie de vie est une autre perspective de réécriture de la pensée africaine dans son rapport avec le monde. Nous avons existé sur la base de notre propre histoire, nos valeurs et nos visions du monde, ce serait inutile de vouloir les abandonner pour adopter d’autres qui ont simplement un rapport étriqué avec notre vision du monde. Ces trois personnages représentent ainsi la dimension du temps qui permet de redimensionner la place ou la position de l’Afrique sur l’échelle du progrès socioéconomique et culturel mondial.

INESI – Quelle est la place des adages dans l’éducation traditionnelle et contemporaine ? (Boubou Hama, L’Essence du verbe, Niamey, CELHTO, 1988).

AS : Les adages sont des procédés à travers lesquels, l’Africain a eu et continue d’ailleurs d’exprimer sa culture et sa vision du monde. Désigné par les proverbes, Boubou Hama les utilise dans cette œuvre passée pour un chef d’œuvre : L’Essence du verbe. La sacralité de la parole oblige à la considérer comme le fondement principal de l’existence humaine. Elle doit être unique lorsqu’elle est donnée à quelqu’un ou aux autres. La parole d’honneur est un principe chanté et encouragé par les proverbes. Boubou Hama l’aurait exprimée ainsi à travers cet adage zarma-songhoy, qui donnera également le titre de son œuvre à savoir : « Saani ya hari no nda muna a si kuu ». Autrement dit : « La parole est comme l’eau, lorsqu’elle se verse, on ne peut la ramasser ». Gageons donc de tenir nos langues afin de ne pas perturber l’ordre social préétabli. C’est dire que les adages ont une place fondamentale dans l’éducation en Afrique car ils permettent de construire de manière formelle la logique de la pensée et la philosophie de l’Homme de l’Africain. Boubou Hama s’est intéressé à ces adages en produisant une œuvre intitulée Proverbes, sentences et maximes Zarma-Songhoy, Bambara, écrite exclusivement en Zarma-Songhoy, sa langue maternelle afin de conserver la saveur véhiculée par ces adages. C’est donc cette œuvre écrite en dix tomes qui sera rééditée par Fatoumata Mounkaïla en deux tomes à travers L’Essence du verbe, 1988 et en 2015 à Niamey, par la production et l’édition assurées par le CELHTO.

INESI – Les langues traditionnelles ont elles une place structurelle dans la formation psychique d’une personne ?

AS : Il est un truisme de dire que la langue est le moteur de la culture. Partant de ce fait, les langues traditionnelles, nationales et ou maternelles ont un rôle essentiel dans le développement psychique de chaque individu. Elles le sont encore davantage pour l’Africain, qui a subi et subit encore l’influence des langues d’importations coloniales. L’Africain doit se réapproprier sa personne violée et volée par l’imposition des langues dites étrangères. Aucun développement individuel comme collectif ne peut se faire en s’appuyant uniquement sur la langue ou la culture des autres. Boubou Hama l’a compris, il y a très longtemps en proposant les adages, les maximes, les proverbes uniquement en langue africaine. Chacun réfléchit d’abord dans les substrats de sa langue afin de les traduire dans la langue seconde acquise par le biais de l’école. Ce serait intéressant de commencer par enseigner les jeunes élèves africains dans leurs langues et ensuite produire par la suite dans les autres langues. Aujourd’hui, de tels projets sont déjà en perspective dans beaucoup de pays africains. Au Niger par exemple, une expérimentation est en cours où l’initiation à la lecture se fait d’abord dans la langue première de l’enfant de la classe de Cours d’Initiation (CI) au Cours Élémentaire Première année (CE1). Les résultats des premières évaluations de ces programmes ont prouvé que les enfants ayant passé par un tel prisme ont plus de performance scolaire que leurs congénères de l’école dans la langue seconde.

INESI – Il existe plus de 2000 langues en Afrique, selon l’Académie africaine des langues (ACALAN), quelle est la place des langues nigériennes dans les grandes familles classifiées ?

AS : Comme toutes les autres langues d’Afrique, ces langues connaissent le triste sort de la négligence sinon de l’abandon dans lequel, le pouvoir colonial a bien voulu les encastrer. Au Niger, principalement, certaines langues ont une très longue histoire en termes d’écriture. En effet, le Tamajek possède depuis la nuit des temps, une écriture appelée le Tifinar.
De même l’Arabe a longtemps été utilisé par les Africains du monde arabo-musulman du Soudan afin d’exprimer leur littérature, leur science, leur culture, etc. Aujourd’hui, grâce à l’engagement du Niger, l’Institut de Recherches en Sciences Humaines (IRSH) de l’Université Abdou Moumouni de Niamey possède un Fonds Ajami de plusieurs milliers d’œuvres. Ce serait une formidable occasion de procéder à les traduire dans les langues de communication courante, comme le français ou l’anglais.

INESI – Peut-on déceler dans la pensée de Boubou Hama, un « proto-panafricanisme » (qui remonte à l’époque des empires africains) ? Peut-on le qualifier de panafricain ?

AS : La pensée de Boubou Hama se considère comme une pensée panafricaine dans son optique d’ancrage dans les valeurs civilisationnelles noires. Il appelle dans son œuvre à une unité de l’Afrique en s’inscrivant dans la même logique que ses congénères. Boubou Hama représente l’Afrique à l’image de Kwamen N’Krumah pour qui, le continent doit s’ancrer d’abord dans ses valeurs pour se nourrir ensuite des autres valeurs positives afin de féconder ses dynamiques existentielles longtemps incomprises du reste du monde. Pour Boubou Hama, nous devrons être d’abord nous-même, d’où sa logique de ferme enracinement dans la culture Zarma-Songhoy comme source principale d’inspiration Il va ainsi de cette culture pour aboutir à l’Afrique et ensuite parvenir à atteindre le monde. En ce sens, Boubou Hama cultive la théorie de l’universalisme qui consiste à sauter les verrous des enclos nés des frontières imaginaires nées entre les peuples de velléités grégaires. Boubou Hama appelle à la conscience des hommes afin de parvenir à la construction d’une commune humanité dans laquelle, les puissants comme les faibles ont droit de citer.

INESI – Quelle est la place de la femme dans les écrits de cet auteur ? Il disait par exemple que « le plus vieux de ces systèmes me paraît être, au départ, sur la base d’une race homogène, un matriarcat très ancien » (Histoire traditionnelle d’un peuple : les Zarma-Songhay, Paris, Présence Africaine, 1967, p. 10).

AS : La femme représente une figure de proue dans la pensée de Boubou Hama. Celui-ci a d’abord vécu sous la protection de sa grand-mère, qu’il adule à la limite car c’est d’elle qu’il détient ses talents d’orateur et de conteur invétéré. Boubou Hama est le fruit de sa culture. En ce sens, la femme est au cœur de sa production à tous les niveaux de la chaine. Il faut retenir que les sociétés Songhoy sont d’origine matriarcale comme beaucoup d’autres sociétés africaines. La Reine Kasseye, ancêtre première des Songhoy, la princesse Ouezagoungou, sont des figures emblématiques de la littérature produite par Boubou Hama. Il n’est pas risqué d’affirmer que la femme est une véritable actrice de développement dans la production de cet auteur. Il recentre ainsi le débat sur la condition de la femme en l’intégrant au cœur des processus socioéconomiques du Niger. Boubou Hama innove ici avec N’Dounya qui insiste sur la liberté, l’équité et la refondation surtout des traditions rébarbatives en se basant sur la femme :
« Ouéhiza, mon amour, dit N’Dounya, autrefois la reine Ouéhiza, la reine de Gounguia, et son mari, un prince étranger, ont été à l’origine du vaillant peuple sonraï. Nous aussi, nous serons à l’origine de grandes choses. Je veux régner avec justice, je veux combattre les côtés paralysants de la tradition, je veux que mon peuple connaisse et applique les nouveautés utiles, je veux que mon royaume prospère. Tu m’aideras et me soutiendras dans ce rude combat », (Boubou HAMA, Founya le vaurien, 1985, p. 143).
La gouvernance change alors de méthode en adoptant la stratégie du partenariat sincère entre le roi et la reine.

INESI – Fabien Eboussi Boulaga définissait la tradition comme « un être-ensemble et un avoir-en-commun qui appellent à une destinée commune par un agir-ensemble » (La crise du Muntu : Authenticité africaine et philosophie, Paris, Présence Africaine, 1977, p. 145). Qu’en pensez-vous au regard des trois approches de Boubou Hama dans Kiotia Nima ?

AS : Kiotia-Nima est une œuvre majeure de la pensée de Boubou Hama. Elle représente un roman à thèse dans lequel, l’auteur part sur une triple dimension qui se résume à une seule : la coexistence entre les traditions africaines et la modernité et/ou le rapport de l’Afrique avec l’Occident. Sans rentrer dans les éternelles critiques de l’Occident, Boubou Hama conçoit avec lucidité les deux rapports. Pour lui, l’Europe ou l’Occident en général nourrit aussi un retard lié à son abandon de l’humanisme. Le développement matériel exponentiel de l’Occident le propulse de plus en plus comme un espace où le développement se fait plutôt contre l’Homme. L’Occident a inventé la bombe atomique, qui d’un seul souffle est capable de détruire la terre entière. Il faut donc le retard technologique de l’Afrique afin de tempérer le fiel matériel qui empoisonne les rapports humains. Pour Boubou Hama, tout développement qui n’a pas comme priorité l’Homme est voué à l’échec. Sa devise reste donc dans Kotia-Nima : tout doit se faire pour et par l’Homme.

INESI – Pensez-vous qu’il faut opérer dans le système éducatif une « décolonisation des esprits » ? Les différentes crises politiques et institutionnelles que nous rencontrons souvent, sont-elles dues à l’abandon de nos valeurs et cultures dans les systèmes juridiques postcoloniaux adoptés ? Le panafricanisme est-il la voie de sortie ?

AS : L’Afrique a plus que jamais besoin d »une décolonisation des savoirs. C’est ce que Valentin Yves Mudimbe appelle la « bibliothèque coloniale ». Les Africains en général, ont une vision très étriquée des valeurs culturelles africaines. Ils sont le plus souvent à la périphérie des cultures. L’intoxication des médias du monde et la falsification de l’Histoire du continent les amène le plus souvent soit à une autoflagellation ou soit à un afro centrisme débridé. Les jeunes en particulier, parce qu’ils sont victimes des médias et subissent de plein fouet le syndrome de la phobie du livre pataugent dans des discours vagues et peu profonds sur les déterminants du futur de l’Afrique.

Dans la plupart des cas, ils sont éloignés des vrais problèmes du continent en se cramponnant sur des théories qu’ils maîtrisent peu ou pas du tout. Les crises tous azimuts qui secouent le continent résultent de cette incapacité des Africains à exploiter parcimonieusement les valeurs civilisationnelles africaines. Pr. Djbril Abarchi, un universitaire nigérien en parlant des lois et règlement juridiques modernes dit d’eux qu’ils sont des « friperies juridiques ». Comment développer un continent avec une telle mentalité de copiste et de suivisme à l’aveuglette. De ce fait, le Panafricanisme, le « vrai » à mon sens, né des pensées de W.E.B Du Bois, Georges Padmore, Marcus Garvey, Nkwamen Nkrumah, etc. est un référent capable de redresser ce tort longtemps crée à l’Afrique. La jeunesse doit en ce sens s’approprier d’abord cette philosophie afin de relever les défis qui sont les siens.

INESI – Abdou Moumouni, dans L’éducation en Afrique (Paris, François Maspero, 2e édition, 1967, p. 20-21) nous donne des pistes de réponses. Qu’en pensez-vous ?

AS : Le principe fédérateur sur lequel, Abdou Moumouni fonde sa pensée dans cette œuvre est le risque de colisage entre l’éducation traditionnelle africaine et l’éducation moderne offerte par l’école occidentale. Il interroge ainsi les valeurs africaines en prouvant leur ultime nécessité dans la formation du jeune africain. On ne peut en effet, prétendre développer une personne contre son gré. C’est-à-dire que l’école moderne a faussé les bases de son assise en créant les conditions d’une méprise des valeurs noires. Selon toute évidence, Abdou Moumouni décrit le caractère sectaire et ségrégationniste de l’école dans sa logique à tout remettre en cause. C’est d’ailleurs ce que les sociétés modernes africaines devraient corriger en intégrant les cultures et les modes de pensée nés de la pensée philosophique du Noir à travers sa conception du monde.

INESI – En tant qu’enseignant dans le secondaire et enseignant chercheur, vous avez une approche système du système éducatif nigérien. Quels diagnostics en tirez-vous ? Et quelles solutions y apporter ?

AS : « L’école nigérienne » est malade, chante-t-on tous les jours. Ceci est indéniable. Notre pays à l’instar de tous les autres pays africains souffre du manque crucial d’un système éducatif fiable. Les politiques éducatives ont toutes montré leur limite. La crise de l’éducation est une crise complexe dont les racines sont à rechercher d’abord dans les politiques d’ajustement structurels injustement imposées aux pays africains à partir des années 1980. Ce sont ces ajustements qui ont conduit le Niger à se débarrasser des enseignants qualifiés en leur imposant des départs volontaires ou forcés. La très forte démographie du Niger a conduit également à un décuplement des besoins en matière d’éducation. L’Etat a utilisé à l’époque le système du double flux afin de contenir et gérer les cohortes dans les classes. Les infrastructures scolaires et le personnel enseignant ne suivent plus la croissance des populations.

La demande étant plus forte que l’offre, l’Etat a procédé à partir des années 2000 à un système encore plus rébarbatif de l’école par le « volontariat » et ensuite la « contaractualisation » de l’éducation participant du coup, à un rabais exponentiel du niveau de l’encadrement. Les crises des années 1990 dans le secteur éducatif, corolaires d’un mal être généralisé ont participé aussi à enterrer tous les espoirs d’une éducation et une scolarité de qualité. En tant qu’enseignant du secondaire, nous assistons aujourd’hui à une disparition du niveau minimum chez les élèves. Les règles élémentaires de la langue ne sont pas respectées par les apprenants qui peinent à comprendre et à analyser l’énoncé le plus trivial. Puisque les mêmes causes produisent les mêmes effets, les universités accueillent dans le dénuement le plus total et cela faute d’infrastructures adéquates, de personnel d’encadrement qualifié et quantifié, ces jeunes scolaires sortis d’un circuit du secondaire les ayant formés au rabais. Du coup, ils peinent à suivre les cours et à produire en conséquence une réflexion poussée digne d’un universitaire.

C’est dire ici que le tableau est sombre. En ce sens, les responsabilités restent partagées. La meilleure façon de résorber cette crise de l’éducation ou de l’école qui n’a d’ailleurs que trop duré est d’endiguer le problème à la source. Il s’agit en fait, de procéder à une refondation de la famille en revoyant l’éducation au niveau de cette cellule. Il est évident qu’aujourd’hui, les parents affichent une certaine démission en octroyant l’éducation des enfants à trois mauvaises mères éducatrices à savoir : la rue, la télévision et l’école. Toutes ces trois sources d’éducation ne sont en rien des références. Au contraire, elles contribuent à détruire le petit potentiel humain inculqué aux enfants en les rendant des brutes épaisses. L’Etat, un des acteurs clés du système a également démissionné en abandonnant le secteur aux agents mercantiles et autres vendeurs d’illusion. Le problème étant purement structurel, il doit donc avoir nécessairement des réponses structurelles. Nous devrons arrêter et cela à tous les niveaux d’avoir cette politique de l’autruche en jouant aux faux-fuyants. Pour notre propre bonheur et la prospérité des générations futures, le Niger doit impérativement revoir sa copie.

INESI – Le prix Boubou Hama existe-t-il toujours ?

AS : Il existe de nom. Depuis quelques années en effet, il n’a plus été attribué. Cela suppose qu’il est en léthargie. Mais plusieurs actions sont en cours afin de faire de ce prix, une des grandes distinctions de la littérature nigérienne. D’ores et déjà, des démarches sont en cours auprès des autorités et de toutes les bonnes volontés afin de faire revivifier ce prix et lui donner sa gloire d’antan.

INESI – Pouvez-vous revenir sur vos activités en tant que Secrétaire de Ligue Panafricaine UMOJA LPU-UMOJA, section du Niger ?

AS : La Ligue Panafricaine UMOJA, (LPU-UMOJA) est une structure panafricaine qui a été créée en 2012 au Congo. Elle a pour devise : L’Union fait la Force. C’est dire alors que pour la LP UMOJA, Unis, nous sommes encore plus forts. Reconnue au Niger depuis presque cinq ans, cette structure milite aux côtés des autres structures sœurs afin de voir se réaliser le rêve des aînés comme Kwame Nkrumah ou Marcus Garvey. Il s’agit fondamentalement de parvenir à l’unité de l’Afrique en procédant par le système de fédéralisation. Au Niger, nous sommes implantés dans presque toutes les régions du pays en visant parfois les brousses les plus profondes. Nos activités couvrent pratiquement tous les domaines de l’épanouissement humain allant du droit à la justice, à l’éducation et à la promotion de l’unité africaine. Comme vous le constatez, nous sommes sur de vastes chantiers pour la réalisation de nos idéaux.
En tant que Secrétaire à la communication, ma tâche fondamentale se résume à la sensibilisation et à la diffusion de l’idéologie du panafricanisme au Niger. Pour cela, nous animons des conférences-débats, des journées d’éducation et d’éveil de conscience face aux enjeux de la lutte panafricaine dans les établissements scolaires et surtout à l’université. Nous participons ainsi à une mobilisation des masses critiques très souvent en marge des mouvements panafricanistes au Niger.

INESI – Vous avez publié un ouvrage récemment, qu’avez-vous essayé de démontrer ?

AS : L’œuvre publiée récemment est un récit imaginaire. C’est en effet, un roman intitulé Droits de Vétos qui traite du quotidien de la jeunesse africaine en général et celle nigérienne en particulier. De quoi s’agit-il ? C’est l’histoire d’amour entre deux jeunes dont les mères respectives ont opposé des droits de vétos à leur union. L’une prétextant que le garçon allait blesser et trahir sa fille comme le premier copain de sa grande fille et l’autre alléguant que la fille est indigne de son fils car provenant d’un autre groupe ethnique qu’elle. Pour elle, tout ce qui ne relève pas de son ethnie est de l’obédience d’une caste et par conséquent capable de souiller son sang pur et entaché par la même occasion son honneur et sa fierté. Mais avec ténacité, les deux jeunes vont venir à bout des adversités des deux mères respectives. Mais, c’était surtout pour nous l’occasion de faire une analyse critique de la situation sociopolitique de notre pays, le Niger, de l’Afrique et du monde entier. C’est assez prétentieux pour un premier roman, mais nous avons tenu à apporter notre modeste contribution pour la construction d’un monde meilleur.

INESI – Quelles sont les œuvres et les auteurs nigériens qui vous ont le plus marqué ?

AS : Comment choisir dans cette vaste littérature qui a fourni autant d’auteurs de talent. Je pense que tout ce qui est œuvre nigérienne est ma priorité. Je n’ai pas forcément un auteur ou une œuvre de préférence. J’ai été bercé comme tout le monde par le roman d’Adamou Idé et sa truculence critique sur les mœurs sociopolitiques du Niger avec La Camisole de paille, de Idé Oumarou et son Gros plan, de Mamani Abdoulaye avec Saraounia, de Léopold Kaziendé, d’Hélène Kaziendé, de Mariko Kélétéguui, Diado Amadou, Taddé Amadou Siddo, sans compter la jeune génération pour qui, j’ai également une profonde admiration. Je citerai en exemple, un jeune auteur comme Manou Sékou Abdoul Nasser ayant aujourd’hui à son actif plus de quinze œuvres publiées déjà et à moins de trente ans, Adèle Bary, etc. Je pense que tous ces auteurs ont fait pour certains, font et feront encore des prouesses. C’est dire que le choix est impossible. S’il est fait, il ne sera d’ailleurs qu’arbitraire. Je considère que notre littérature a besoin de ce petit coup de pouce pour atteindre le firmament de son développement. Cependant, s’il m’était exigé de faire un choix, celui-ci porterait sans coup férir sur Boubou Hama. Je dirai que je suis particulièrement attiré par l’œuvre foisonnante de Boubou Hama. Cet auteur a en effet, à son actif aujourd’hui plus de quarante-cinq œuvres publiées. Boubou Hama a façonné ma vision du monde et particulièrement ma conception des rapports humains. Il a une philosophie de l’Homme ancrée principalement dans l’humanisme. Sa devise est de ne jamais juger les autres. Il faut essayer de comprendre chacun dans sa logique. Nul ne détient le monopole de la vérité. Notre coexistence est beaucoup plus importante que nos particularités qui sont éphémères. L’union des cœurs est sacrée à ses yeux et l’Homme est le potentiel le plus sûr, capable de transformer le monde.

INESI – Avez-vous un message pour les jeunes et la future génération ?

AS : Je ne saurais terminer sans dire que cette jeunesse doit être le pivot de notre développement. J’invite alors les jeunes à plus de responsabilité et de rigueur intellectuelle afin de relever les défis multiformes qui guettent le Niger, l’Afrique et le monde. Je leur dirai également de s’ancrer dans les valeurs africaines en opérant le choix nécessaire afin d’éviter tout narcissisme béat pour ces valeurs. Ce sera la bonne sélection qui permettra d’édifier le monde meilleur de demain. Je leur dis alors et à la suite de Boubou Hama dans son œuvre Les Problèmes brûlants de l’Afrique où d’ailleurs un vieillard nommé Le Vieil Adam s’adressait à un jeune homme nommé Boro, lui dit : « Tu es assis sur de l’or et tu envies le cuivre des autres ».

Je vous remercie de cette belle opportunité que vous m’avez offerte pour m’exprimer sur des questions de telles envergures.
https://inesi-niger.org/entretien-avec-dr-adamou-siddo-aucun-developpement-individuel-comme-collectif-ne-peut-se-faire-en-sappuyant-uniquement-sur-la-langue-ou-la-culture-des-autres/

Par L’INESI Le 25 Mai 2019