CAN, la politique dans le football

Vendredi soir au Caire (Egypte) va se disputer la finale de la Coupe Africaine des Nations entre le Sénégal et l’Algérie. Bien sûr les supporters ne verront à travers ce grand rendez-vous footballistique qu’un évènement sportif. Mais s’agit-il que de cela ? Les observateurs avisés de la vie politique savent bien qu’il y a derrière tout cela d’autres enjeux, en particulier internationaux, nationaux et sociaux.

Enjeux internationaux car on ne parle pas ici d’un « chauvinisme » classique en faveur de telle équipe et au détriment de telle autre, mais bien plutôt de « nationalisme » car il s’agit pour chacune des nations représentées d’apparaître à son avantage sous les feux de la rampe médiatique mondiale. Eten  quel chef d’Etat n’exploiterait-il pas un tel évènement, qui pour redorer son blason en raison d’une chute brutale dans les sondages ou faire briller une étoile quelque peu ternie par des grèves et des tensions sociales, qui par narcissisme. Le terrain de foot apparaît soudainement comme une scène internationale et ce n’est pas tous les jours qu’on à le loisir d’y jouer. Ainsi notre histoire récente est pleine d’évènements comme lorsqu’en 1960 l’Espagne avait refusé de rencontrer l’Union soviétique lors des quarts de finale du Championnat d’Europe des nations. Nous étions alors en pleine guerre froide. Quatorze ans plus tard c’était au tour de l’URSS de déclarer forfait pour les matchs de barrage des qualifications pour la Coupe du monde de 1974 en signe de protestation contre le coup d’Etat qui avait renversé Salvador Allende au Chili. Plus récemment en 1984, le boycott des JO de Los Angeles par les pays du bloc communiste avait permis à l’équipe de France de remporter le tournoi de football. Tensions dans les Balkans, crise Ukrainienne, relations avec l’Afrique du Sud ségrégationniste, conflits israélo-palestinien, crise du Golfe auront été autant de situations de crises qui ont eu des répercussions sur le calendrier de la Fédération Internationale de Football. Il est même arrivé que le football ait servi de médiateur diplomatique, comme en 1998 lors de la Coupe du monde en France où un match opposant l’équipe des Etats-Unis à celle de l’Iran a permis de rapprocher les deux pays. Et on pourrait multiplier à l’envie les exemples le rôle du football en matière de politique internationale.

Enjeux nationaux

Selon les circonstances le football à souvent permis de rassembler les peuples comme cela a été le cas en 1990 lors de la coupe du monde en Allemagne apprès la victoire de l’équipe allemande réunifiée. Egalement en France huit ans plus tard. Ce n’est pas sans raison que le nom de certains stades à travers le monde a été donné en relation avec des évènements qui n’ont rien à voir avec le sport, comme cela a été le cas à Alger, à Benghazi, à Tripoli, à Bamako. Des hommes d’Etat ont aussi donné leur nom à des stades de football, ils sont légion en Afrique, citons Léopold Sédar-Senghor à Dakar. Ce n’est d’ailleurs pas sans raison si les maillots de la plupart des  sélections nationales reprennent les couleurs de leur drapeau national à l’image de l’équipe de France : Bleu, Blanc, Rouge ou le jaune et le vert pour les Lions du Sénégal. Il y a là une recherche d’identification permettant aux supporters d’entretenir la flamme nationaliste, au même titre que les hymnes nationaux. Enfin, de nombreuses personnalités politiques se sont depuis toujours investi dans la vie de clubs de football, de Silvio Berlusconi, à Bernard Tapie en passant par Georges Weah.

Enjeux sociétaux

Personne ne songerait à nier que le football, comme d’autres sports, a depuis toujours favorisé le dialogue entre les peuples et à joué un rôle non négligeable dans l’évolution des mentalités et la progression des droits de l’homme. Mais on peut aussi parler de la parité homme-femme (et on vient d’assister à la coupe du monde féminine) la lutte contre le racisme avec des gestes extrêmement forts. Tout le monde à encore en mémoire les JO de 1936 à Berlin avec la victoire du noir américain Jess Owen à la fureur d’Hitler. Il y a eu aussi ces gestes d’athlètes américains brandissant le poing depuis le podium des vainqueurs en signe de protestation contre l’oppression des minorités noires en Amérique.  Au-delà de ces symboles sociétaux du sport il faut aussi évoquer le rôle du football en vue de résorber les fractures territoriales au niveau de nos villes et villages et où de nombreux notables en font un outil d’influence électorale. Il suffit pour s’en convaincre de voir l’importance que revêt le club de l’OM pour tous les marseillais. D’ailleurs lors de chaque grande confrontation nationale, européennes, africaines, ou mondiales, on ne peut imaginer que la rencontre ait lieu sans la présence en tribune du chef de l’Etat. Et là aussi il est frappant de voir que la plupart des stades portent le nom des maires et élus locaux. Dans certains cas les stades peuvent d’ailleurs être des espaces de contestation et de revendications, de débat sur la mixité sexuelle et de lutte contre le racisme.

Le football récupéré par les politiques

Malheureusement les stades peuvent être aussi le lieu de violences, tel le hooliganisme, et le football, comme on l’a vu en France ces derniers jours à l’occasion de la CAN, par des supporters algériens, être l’objet de scène de liesse qui débordent parfois en  confrontations violentes. Vendredi soir, au Caire, le Sénégal affrontera l’Algérie pour on l’espère une grande finale. Les Algériens tenteront à cette occasion d’oublier que durant de longues semaines le pays à connu des manifestions de rue importantes contre le régime en place et les Sénégalais que la précarité, l’insécurité et la corruption n’ont pas effacées  d’un coup de baguette magique par Macky Sall. Ce sera l’occasion de vérifier l’exploitation politique que fera celui-ci en cas de victoire des Lions car pour un homme politique habile dans l’art de la manipulation le ballon rond est un outil rêvé pour faire oublier auprès des couches de la population les plus défavorisées les difficultés du moment. A l’évidence le football n’est pas qu’un sujet sportif, loin de là.

Jean-Yves Duval, directeur d’Ichrono