Affronter la réalité de la violence pour mieux la contenir

1La violence fait partie de la vie. La question, ainsi que l’a posée Patrick Bailleau, est : « Comment en prenons-nous conscience et comment la gérons-nous ? »

2Ce thème est peut-être un des plus vieux du monde, je citerai trois exemples :

  • le récit de Caïn et Abel, dont l’enseignement est de montrer, d’une part, que nous avons un libre arbitre quant à notre attitude face à une situation pouvant être vécue comme frustrante et, d’autre part, que le fait de refuser de dialoguer conduit à la violence.
  • un conte traditionnel Cherokee : Un vieil homme veut apprendre à son petit-fils ce qu’est la vie. « En chacun de nous, il y a un combat intérieur » dit-il au jeune garçon. « C’est un combat jusqu’à la mort et il se tient entre deux loups. Le premier est ténébreux. Il est la colère, l’envie, le chagrin, le regret, l’avidité, l’arrogance, l’apitoiement sur soi-même, la culpabilité, le ressentiment, l’infériorité, la supériorité, les mensonges, la fausse fierté et l’ego. Le second est lumineux. Il est la joie, la paix, l’amour, l’espoir, la sérénité, l’humilité, la gentillesse, la bienveillance, l’empathie, la générosité, la vérité, la compassion et la foi. » Le petit-fils réfléchit pendant un long moment. Puis il demande à son grand-père : « Quel est le loup qui gagne ? ». Le vieil homme sourit et lui répond : « Celui que tu nourris. »
  • Voltaire nous montre dans Candideque la violence n’est pas l’apanage de notre siècle. Par contre, cette fin de XXe siècle et début de XXIe détient le record de sa médiatisation et de sa banalisation.

3Comment gérer les deux loups qui sont en nous ? Personnellement, c’est d’abord par les apports de différentes philosophies, des lectures avec des personnages modélisants que j’ai pu gérer ma propre violence et faire face à celles auxquelles j’ai été confrontée (agressions physiques et psychiques). Puis mon parcours en AT m’a permis de développer ma propre conscience.

4« Transformer notre conscience individuelle, c’est enclencher le processus de transformation de la conscience collective. » (Héraclite) Que ce soit la violence dans le monde, la violence dont je suis témoin, la violence que je ressens, la manière dont je réagis et interagis a une influence sur « le processus de transformation de la conscience collective », parce qu’elle est modélisante.

Violence dans le monde

5Un philosophe grec – dont j’ai oublié le nom – a dit « Il y a ce sur quoi je peux agir et ce sur quoi je ne peux pas agir ». Si je ne peux changer le monde, je peux agir à mon propre niveau : dénoncer ce qui ne convient pas, manifester, etc.

6Violence dont je suis directement témoin (agression dans les transports, dans la rue, harcèlement moral, violence verbale disproportionnée pour citer quelques situations que j’ai connues)

7Je peux la dénoncer, m’interposer pour calmer « le jeu », dialoguer, poser des limites. Évidemment, la prise de risque est plus forte. La peur, soit du coup de barre de fer soit de représailles, a pu me traverser l’esprit, mais « laisser-faire » était une attitude que dans ces situations je ne pouvais/voulais accepter. Comment, en tant que citoyenne, puis-je fermer les yeux et cautionner ce qui se passe, méconnaître ma propre capacité à intervenir ?

8Si la tentation me prend de laisser faire, alors je repense à une phrase dans un téléfilm policier : « La force des méchants, c’est la faiblesse des gentils ».

9Ici, je passe de la conscience individuelle à l’action individuelle : « ce sur quoi j’ai de l’influence », qui elle-même contribue au « processus de transformation de la conscience collective ».

Violence que je ressens

10Il y a la violence qui m’appartient (colère face à une injustice…). Là aussi, ma manière de réagir, d’agir, a son importance (régler la situation avec l’autre et avec moi-même).

11Il y a la violence que je ressens face à un client, violence qui ne m’appartient pas. L’importance de la conscience du transfert et du contre-transfert est ici primordiale pour que je ne crée pas de dommage. Je pense à une cliente que j’accompagne actuellement. Lors du premier rendez-vous, j’ai senti au fur et à mesure une exaspération montante avec la pensée « On a envie de lui donner une claque ». Je me suis interrogée en me demandant pourquoi je ressentais cette violence qui n’avait aucun fondement, ayant une femme à l’aspect très doux en face de moi. Avoir participé en 2013 à l’atelier de Marco Mazetti sur le transfert et le contre-transfert m’a aidé à décrypter ce qui se passait en moi pour le gérer.

12L’AT nous offre des possibilités variées, profondes, pour cheminer vers l’Autonomie, d’où selon moi, l’importance de se former même au-delà de la certification et d’avoir des supervisions régulières.

13L’AT ne solutionne pas tout, c’est notre conscience individuelle, notre libre arbitre – dont nous sommes seuls responsables – qui choisit de nourrir le « bon » loup et « d’apprivoiser » l’autre.

Mis en ligne sur Cairn.info le 08/04/2016

https://doi.org/10.3917/aatc.154.0068