Racisme : au Liban, les préjugés ont la peau dure Écrit par Camille Lorente, à Beyrtouth

« Être noir au Liban, un combat quotidien contre le racisme-« Parfois je regrette ma venue au Liban »- Le Liban malade du racisme » compilation pour comprendre

L’Afrique est une destination privilégiée de la diaspora libanaise depuis le XIXe siècle. Mais aujourd’hui, les enfants issus de mariages mixtes installés au pays du Cèdre subissent au quotidien un mélange de racisme et de préjugés sociaux. Reportage.

Il fait nuit, Gemmayze s’agite. Dans ce quartier chrétien de la capitale libanaise, on se presse en talons hauts sur des trottoirs impraticables pour rallier le dernier bar en vue. Eddy Abbas a prévu de boire quelques bières. Ce rappeur de trente ans, membre du groupe Fareeq El Atrash, a les yeux en amande de son père libanais et la peau mate de sa mère ivoirienne. Première interpellation policière à l’heure de l’apéritif. Fouille et  contrôle des papiers. « Quand ils ont vu ma carte d’identité libanaise, ils m’ont dit « On pensait que vous aviez besoin d’aide ». Ils auraient pu trouver une meilleure excuse », plaisante Eddy, amer, en dégageant les dreads qui tombent sur son front.

Eddy, dont le père dirige une scierie en Côte d’Ivoire, a été envoyé très jeune dans sa famille paternelle au Liban. À l’école, on lui sert du « Yo rastaman ! ». En ville, il découvre les arrestations arbitraires. Un soir à Dora, quartier pauvre de la banlieue beyrouthine, le trentenaire natif d’Abidjan passe une heure à l’arrière d’une Jeep de police, le temps que son frère lui apporte ses papiers.

Amalgames

Beyrouth la cosmopolite n’échappe pas aux amalgames raciaux et socio-économiques. Au jeu du délit de faciès, la classe sociale présumée compte au moins autant que la couleur de peau. « La société libanaise fonctionne par catégories très cloisonnées », explique Nadim Houry, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord de Human Rights Watch. « Entre religion, origine géographique et position socio-économique, les gens cherchent à se distinguer en permanence. À cela s’ajoute l’idée que les Libanais ont une certaine tête. Les métisses sont donc pris pour des migrants pauvres et illégaux. »

Au Liban, la majorité des immigrés africains et asiatiques occupent des emplois subalternes, jugés dégradants par les locaux.

Ce qui est loin d’être une chance. Au Liban, la majorité des immigrés africains et asiatiques occupent des emplois subalternes, jugés dégradants par les locaux. Employée de maison pour les femmes, éboueur  ou plongeur pour les hommes : ils représenteraient 30% de la main-d’œuvre. Souvent exploités (1), peu ou pas protégés par le droit du travail, les migrants subissent aussi l’absence de législation en matière de racisme. Seule une circulaire du ministère du Tourisme datant de mai 2012 est censée garantir l’accès aux piscines et plages privées « sans discrimination de race, de nationalité ou de handicap ». Les associations antiracistes ont depuis prouvé son inefficacité, notamment au moyen de testing en caméra cachée (2).

Partir ou rester

Hassan Merheb n’a pas ce problème. « Grâce à ma grande taille, on voit que je suis basketteur. Les gens pensent que je suis Américain et je peux rentrer à la piscine, en club ». Né en Sierra Leone où son père libanais a émigré au début des années 70, le jeune métis n’échappe pas aux remarques dégradantes. Dans les embouteillages monstres de la capitale, au volant de sa jolie Citroën neuve, il s’amuse des regards interloqués. « C’est la pire chose pour les racistes de voir un Noir dans une meilleure position sociale que la leur. »

C’est la pire chose pour les racistes de voir un Noir dans une meilleure position sociale que la leur.

Pour changer les mentalités, Nisreen Kaj, auteure et activiste ayant émigré du Nigeria il y a douze ans, a présenté en 2012 « Mixed Feelings », une série de portraits d’Africains-Libanais issus de toutes les classes sociales. Sur les trente personnes photographiées, deux seulement avaient confié se sentir bien au Liban. Une dizaine d’entre elles a depuis quitté le pays pour l’Afrique. Nisreen aussi pense à partir, « mais pour aller où ? ».

Lassé par l’instabilité politique, Eddy le rappeur devrait bientôt rejoindre son père en Côte d’Ivoire. Les travailleurs du continent noir et d’Asie continuent d’affluer en terre libanaise. Human Right Watch estime aujourd’hui à 200 000 le nombre de domestiques migrants au Liban, soit 25% de plus qu’en2006.

https://www.jeuneafrique.com/171947/societe/racisme-au-liban-les-pr-jug-s-ont-la-peau-dure/

https://www.youtube.com/watch?v=zFahIRnTtj0

Une Jeune fille Noire interdit de piscine au Liban-Patrick Eric Mampouya

https://www.youtube.com/watch?v=iVxFoCiROco

https://www.youtube.com/watch?v=iVxFoCiROco

Être noir au Liban, un combat quotidien contre le racisme-« Parfois je regrette ma venue au Liban »- Le Liban malade du racisme

« Le racisme est partout le noir l’africain est sociable ouvert et accueillant.

Certaines nationalités vivent sur le continent en paix alors que nos compatriotes sont traités comme des bêtes de sommes et d’ailleurs même les bêtes ont droit au respect. Pour un meilleur vivre ensemble ouvrons les yeux et luttons contre les racismes. Nos gouvernants doivent se mettre au travail pour que l’emploi soit une réalité. On peut réussir au pays si on nous donne les moyens. » P B CISSOKO

 

« Cela ne me gêne pas qu’on dise que je suis noire, c’est la vérité. Mais me faire traiter d’esclave est insultant », confie la présentatrice de télévision Dalia el-Ahmad à « L’Orient-Le Jour ».

« C’est quand j’ai commencé ma carrière dans le journalisme que j’ai su ce qu’était le racisme », raconte Dalia el-Ahmad.

« Nous ne donnons des dollars qu’aux Libanais. Où est votre “madame” ? » Devant un bureau de change à Beyrouth, Ubah Ali, une jeune Somalienne, écoute le changeur sans s’énerver. C’est sur Twitter que l’étudiante en sciences politiques et droit international à l’Université américaine de Beyrouth laisse éclater sa colère. « Aux Libanais qui présument que je suis une employée de maison, ne me demandez pas où est ma patronne. Je suis malade et fatiguée de devoir supporter vos commentaires racistes et absurdes », écrit-elle sur la plate-forme, déclenchant une vague d’excuses de la part d’internautes libanais honteux et confus. Après la mort de l’Afro-Américain George Floyd, asphyxié par un policier blanc au Minnesota le 25 mai dernier, le mouvement de protestation qui a débuté aux États-Unis au cri de « Black Lives Matter » s’est rapidement étendu au-delà des frontières américaines. Avec plus ou moins de bonheur. Ainsi, au Liban, la chanteuse Tania Saleh, comme d’autres vedettes de la chanson et du cinéma arabes, s’est grimée de noir pour exprimer sa solidarité avec « toutes les races ». Cette pratique du « blackface » désormais assimilée à une forme de racisme, un problème prégnant au Liban, a suscité de virulentes critiques. Notamment de la part de Lama el-Amine, une artiste et réalisatrice libanaise dont la mère est africaine. Dans une vidéo sur Instagram, elle s’en est pris à la chanteuse, estimant qu’avant de soutenir les Noirs américains, elle ferait mieux de les soutenir dans son pays. « Au départ, je n’ai pas réagi, car les internautes lui demandaient de supprimer la photo, raconte-t-elle. Mais quand elle ne l’a pas fait, cela m’a choquée, car c’est une artiste connue et appréciée qui dit avoir travaillé avec des artistes noirs. J’ai senti l’insulte, moi la femme noire libanaise. » Dans sa vidéo qui a fait le buzz sur internet, Lama el-Amine raconte son expérience ordinaire du racisme depuis son enfance au Liban : les autres enfants agressifs à son égard, le mépris dans la rue, en taxi ou à l’aéroport…

Quand elle était toute jeune, Lama el-Amine se souvient avoir été en voiture avec la mère d’une amie de classe. Une voisine les avait arrêtées au passage, demandant à la maman : « Tu as cherché une nouvelle (bonne)? Elle est trop jeune pour nettoyer la maison! » raconte la jeune femme à L’OLJ. « Au Liban, le racisme existe depuis longtemps, comme partout dans le monde d’ailleurs, regrette Lama. On ne veut pas généraliser, mais j’ai toujours dit que les Libanais sont racistes et pensent que cela est normal. Ils sont même racistes à l’égard des Syriens par exemple. » « Je pense que c’est une mentalité ancrée dans le féodalisme, celle de posséder une terre et les gens qui y travaillent. Comme le système de la kafala qui est tout simplement de l’esclavage, et qui doit s’arrêter », poursuit-elle.

Le Mouvement antiracisme libanais dénonce depuis des années le système de garant, kafala, jugé injuste, inhumain et qui soumet le travailleur étranger à un régime de droit séparé du droit du travail appliqué pour les Libanais.

« Nous avons besoin de prise de conscience humaine dans ce pays, d’ouverture, d’éveil », estime l’artiste. « Nous allons essayer de sensibiliser la nouvelle génération dans les écoles, surtout avec ce qui se passe actuellement aux États-Unis », promet-elle.

Ubah Ali, étudiante à l’AUB, a été confrontée au racisme dès son arrivée au Liban en 2017.

« Parfois je regrette ma venue au Liban »


Dans les universités, le problème se pose moins, estime Ubah Ali qui a été confrontée à des réactions racistes dès son arrivée à Beyrouth, en 2017. « Le premier jour à l’aéroport, l’agent de sécurité m’a demandé de me placer dans la file d’attente des employées de maison, se souvient-elle. J’ai obtempéré, perdue, car je ne comprenais pas. Il m’a ensuite dit qu’il fallait que je contacte “mon maître” pour qu’il vienne me chercher. Quand il a compris que je venais au Liban pour faire des études, il était choqué. » La jeune fille doit obtenir son diplôme de l’AUB dans un an. « Avant de venir à Beyrouth, je ne savais pas grand-chose à propos du Liban. J’ai fait ma scolarité aux États-Unis où je n’ai pas pu rester à cause de mes papiers. J’ai donc postulé à différentes universités. » À l’AUB, Ubah Ali assure qu’elle ne vit jamais ce genre de mésaventures, mais que les choses se compliquent quand elle quitte l’enceinte de l’université. « Les gens pensent immédiatement que je suis une employée de maison. Dans les magasins, les vendeurs ont parfois peur que je ne vole quelque chose, dit-elle. Une amie de mes amies, originaire du Rwanda, s’est fait éconduire par un vendeur dans un magasin sous prétexte “qu’il était trop cher pour elle”. Tant que les gens pensent que des personnes de couleur ne peuvent être éduquées et qualifiées pour faire autre chose dans la vie que le ménage par exemple, et qu’ils ne reconnaissent pas la diversité dans ce monde, la ségrégation continuera malheureusement d’exister. »

Pour l’étudiante, « les Libanais doivent comprendre que les humains sont égaux ». « Cela revient à l’éducation à la maison, et la façon dont les employées de maison sont traitées », déplore-t-elle. « Quand les Libanais apprennent que je suis étudiante à l’AUB, ils changent de ton. C’est pourquoi, exprès, je n’utilise jamais ma carte étudiante. Je veux être respectée pour ce que je suis en tant qu’être humain. C’est le droit de chacun », poursuit Ubah, qui assure cependant que son expérience avec le racisme n’est pas uniquement liée au Liban. « Même mes amis syriens sont racistes, c’est quelque chose en rapport peut-être avec le Moyen-Orient, dit-elle. C’est étrange pour des personnes qui sont également victimes de racisme et de stéréotypes liés au terrorisme dans d’autres pays. » Et d’ajouter : « Au Liban, les minorités doivent parler et le racisme ne peut être normalisé. Même si je souhaite le meilleur à ce peuple résilient et fort, parfois je regrette d’être venue au Liban. »

Lama el-Amine, jeune artiste libanaise engagée, assimile le racisme à une « mentalité ancrée dans le féodalisme ».

Un complexe d’infériorité ?


Présentatrice vedette à la télévision al-Jadeed, Dalia el-Ahmad estime pour sa part que le racisme au Liban peut être expliqué de différentes manières. « C’est une histoire de lutte de classes, dit la journaliste soudanaise. Mais c’est aussi un problème à différents niveaux, tel que le niveau confessionnel. C’est peut-être cette peur de l’autre, ce complexe d’infériorité qui fait que nous voulons supprimer les autres, car nous sommes nous-mêmes faibles et opprimés. »

« J’ai bâti toute ma vie au Liban, raconte la jeune femme. Mais c’est vraiment quand j’ai commencé ma carrière dans le journalisme que j’ai su ce qu’était le racisme. Pas à cause de mes collègues, mais à travers les réactions du public. Quand on n’approuve pas ce que je dis, on s’en prend immédiatement à la couleur de ma peau. Cela ne me gêne pas qu’on dise que je suis noire, c’est la vérité. Mais me faire traiter d’esclave est insultant. » « Malheureusement, poursuit-elle, au Liban, on dénigre des personnes par racisme. À l’intérieur même de nos maisons, on s’en prend aux employées de maison, alors que la maison devrait être le lieu où tout commence, surtout l’éducation. »

Par Béchara MAROUN

L’Orient-Le Jour

Le Liban malade du racisme

Les actes de xénophobie et les agressions à caractère raciste se multiplient au Liban, sur fond d’une montée des tensions liées à la présence de plus d’un million de réfugiés syriens, soit le quart de la population. Cette situation est alimentée par le durcissement du discours d’une partie de la classe politique à l’égard des déplacés syriens.

Les actes de xénophobie et les agressions à caractère raciste se multiplient au Liban, sur fond d’une montée des tensions liées à la présence de plus d’un million de réfugiés syriens, soit le quart de la population. Cette situation est alimentée par le durcissement du discours d’une partie de la classe politique à l’égard des déplacés syriens.

Selon la première version, il s’agissait de deux employées de maison kenyanes, qui auraient été agressées par un soldat de l’armée libanaise, son épouse et des proches, sans raison apparente, uniquement à cause de la couleur de leur peau.[…]

Quelle que soit la vraie version, la scène filmée montre un déchainement de haine raciale sans précédent. Le scandale a pris une telle proportion dans un pays comme le Liban, ouvert sur le monde, que le ministre de la Justice a demandé au parquet militaire de se saisir de l’affaire. L’agresseur, le militaire et son épouse ont été arrêtés. Les deux employées de maison aussi sont derrière les barreaux, sous prétexte qu’elles ne disposent pas de papiers en règle. Des associations antiracistes et de défense des droits des travailleurs étrangers ont pris fait et cause pour les deux Kenyanes.

L’affaire est désormais entre les mains de la justice.[…]

Interrogé par RFI, le député arménien de la région, Hagop Pakradounian, a reconnu l’existence de fortes tensions raciales. Mais il a souligné que le conseil municipal reste respectueux des principes des droits de l’homme et refuse d’appliquer l’interdit de sortir et de se déplacer la nuit pour les réfugiés syriens. Une mesure mise en œuvre par des dizaines de communes au Liban.

RFI