« Faillibilisme épistémologique et réformisme libéral » : La leçon de Sémou aux politiques

Le Professeur Sémou Pathé Guèye tente de sensibiliser les acteurs du débat politique africains aux problématiques théoriques de manière à contribuer au recadrage du sens et de la finalité de la pratique politique. Dans ce livre, « Faillibilisme épistémologique et réformisme libéral : Popper Critique De Marx », édité en 2000, il a cherché à enrichir le contenu de ce débat par des approches théoriques et des perspectives qui peuvent éclairer les acteurs politiques sur leur propre pratique politique. Dans cette publication de 108 pages, l’auteur aborde la question de l’historicisme soumise à la critique popperienne. Tout en nous familiarisant avec son approche (celle de Karl Popper) de l’utopisme révolutionnaire, qui étale son anti-marxisme.

Dans son ouvrage édité en 2000 intitulé « Faillibilisme épistémologique et réformisme libéral : Popper Critique De Marx », le philosophe Sémou Pathé Guèye a voulu sensibiliser les acteurs du débat politique africain aux problématiques théoriques qui peuvent contribuer d’une manière ou d’une autre à la reformulation du sens et de la finalité de la politique. En intellectuel averti, il a cherché à « enrichir le contenu de ce débat, notamment par l’affinement des approches théoriques et des perspectives politiques, voire éthiques, qui s’affrontent en son sein ».

Une expérience d’acteur politique

Son expérience d’acteur politique (militant et responsable du Pit depuis la clandestinité) lui a permis de constater que la méconnaissance de certaines problématiques, pour l’écrasante majorité de la classe politique africaine qui s’évertuent aujourd’hui à repenser plus ou moins radicalement la politique en remettant à plat ses paradigmes, ses concepts, ses finalités et ses démarches, affecte sérieusement la qualité du débat et de l’activité politiques.

La mort des idéologiesR

Le philosophe constate qu’en Afrique, la fable de la « mort des idéologies » aidant, l’efficacité pratique et cette volonté de coller au réel dégénèrent hélas, en un « practicisme aveugle et à l’érection du confusionnisme politique en une vertu qui fait l’affaire de tous ceux qui ont intérêt à ne pas dire clairement aux populations à quelle sauce ils veulent les « manger » » Il a appris de Karl Popper que Science et Politique sont coulées dans le même moule théorique, celui du rationalisme critique et du faillibilisme qui en est le principe essentiel. Tout comme Popper, Sémou Pathé Guèye est habité par l’intime conviction qu’aucune opinion ne peut être tenue pour absolue et s’imposer comme détentrice exclusive de la vérité. Ce qui explique son penchant pour l’approche politique impliquant le principe de la discussion critique, garantie d’une possibilité de perfectionnement continu de l’action. Du fait de la faillibilité de notre nature humaine, fait-il remarquer, « nous ne pouvons jamais faire accéder à nos connaissances et nos théories au statut d’une vérité absolue et définitive, ce qui a l’avantage de les laisser toujours ouvertes à la discussion critique ». C’est la thèse fondamentale, dit le Pr Sémou Pathé Guèye, de l’épistémologie poppérienne qu’il qualifie lui-même de « libérale ».

Rendre moins nuisibles les pires gouvernants …

Le lecteur de Karl Popper sait qu’il existe de mauvais gouvernants et que le pouvoir corrompt, c’est pourquoi pour lui la vraie question est celle de savoir comment mettre en place des institutions susceptibles d’assurer un contrôle effectif et efficace des gouvernants par les gouvernés. Et cela, de manière à pouvoir rendre le « moins nuisibles possible les pires gouvernants et surtout à pouvoir, le cas échéant, les remplacer pacifiquement par d’autres plus compétents, ce dernier aspect, la possibilité de l’alternance, étant ce qui distingue concrètement la démocratie de la tyrannie ».

La faillibilité de la nature humaine explique en partie la critique popperienne de l’utopisme révolutionnaire assis sur la conviction que « seule la révolution sociale, la refonte totale de notre système social sont en mesure de créer les conditions dignes de l’homme ».

Expliquant cette pensée de Karl Popper, le philosophe Sémou indique que « toute tentative d’appréhension théorique globale de la société, ou toute action qui se voudrait elle aussi globale, créerait nécessairement de nouvelles relations qui poseraient elles-mêmes de nouveaux problèmes de contrôle et entraîneraient ainsi une régression sans fin ». A cela s’ajoute, dit-il, le fait qu’en matière de savoir comme d’action, « notre rapport au réel est toujours sélectif dans la mesure où il implique toujours la prise en compte de certains éléments, de certaines informations, au détriment d’autres qui sont pourtant partie intégrante de ce réel au même titre que ceux retenus ». Et de souligner qu’aucun projet de refonte globale de la société ne peut disposer de tout le savoir nécessaire pour assurer son succès car les expériences sur lesquelles se fonde notre savoir sont toujours parcellaires, fragmentaires. Par conséquent les constructions théoriques échafaudées sur cette base sont impossibles à soumettre à des tests susceptibles de les corroborer ou de les réfuter, fait remarquer le philosophe. Ainsi, cette finalité assignée à l’action politique par Karl Popper comporte aux yeux du Pr Sémou Pathé Guèye un double avantage « D’abord, il nous permet d’éviter, comme les révolutionnaires ont tendance à la faire, de sacrifier la génération présente « au nom des générations à venir et d’un idéal de bonheur qu’on risque de ne jamais atteindre ». Il évite donc de faire passer dans la rubrique des pertes à profits de l’histoire les souffrances d’une génération sous le prétexte que c’est là le nécessaire prix à payer pour le bonheur des générations futures », souligne-t-il.

L’audace du visionnaire

Le Pr Souleymane Bachir Diagne qui a préfacé l’ouvrage parle de l’auteur en ces termes : « Il a trouvé dans la philosophie popperienne une démarche et des outils pour construire ses propres questionnements et remettre en chantier ses propres perspectives pour une « autre compréhension » et une « autre pratique » du marxisme. Nous étions à des années lumières d’imaginer la chute du mur de Berlin ». C’est sans conteste un visionnaire qui avait senti venir la Perestroïka et la Glasnost au temps fort du communisme. Il a fait, comme le dit Bachir Diagne, droit au rêve, en empruntant à rebours le chemin qui a mené du socialisme « scientifique » au socialisme « utopique », et « ainsi de retrouver la générosité première d’une philosophie dont le message tient, avant tout, dans cette parole du poète chantant « qu’il est temps que le malheur succombe ». L’univers est irrésolu. Nulle fatalité ne le régit. Il y a toujours place pour la volonté des hommes et des femmes, en toute conscience et en toute liberté, de transformer les conditions de leur existence pour faire succomber le malheur, souligne avec pertinence le philosophe.

Ceux qui liront cet ouvrage de 108 pages verront comment l’auteur aborde la question de l’historicisme soumise à la critique popperienne. Le Pr Sémou Pathé Guèye nous familiarise avec son approche de l’utopisme révolutionnaire et étale son anti-marxisme (celui de Karl Popper).

La peur de ne pas honorer le rendez-vous ….

C’est dans l’introduction générale de cet ouvrage, « Faillibilisme épistémologique et réformisme libéral : Popper Critique De Marx », que le Pr Sémou Pathé Guèye avait évoqué « l’urgence et la nécessité » de rassembler l’ensemble de ses travaux, du moins les plus importants, dans un document. Le présent ouvrage, dit-il, s’inscrit dans le prolongement des travaux que, « depuis le début des années 1990, et en guise d’accompagnement théorique de ce processus tel qu’il s’effectue au Sénégal, en Afrique et dans le monde, nous avons consacrés à différents aspects de la philosophie de la démocratie et de sa pratique ». Des travaux réalisés, pour la plupart, dans le cadre académique, à l’occasion de séminaires ou colloques tenus au Sénégal ou à l’Etranger, publiés (parfois directement en Anglais) dans des revues spécialisées, n’ont pas été toujours accessibles pour la majorité de nos compatriotes, dit-il.

« C’est une lacune que nous essayerons d’ailleurs de combler prochainement en réunissant en un seul ouvrage ceux d’entre eux qui nous paraissent les plus significatifs. Cela nous semble urgent et même nécessaire », promet le Philosophe. Mais la mort en a décidé autrement. Très certainement le département de philosophie de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar travaillera à faire aboutir son ambitieux projet

Bacary Domingo MANE
Source SudQuotidien

 

Professeur Sémou Pathé GUEYE
Professeur Titulaire des Universités Département de Philosophie
Faculté des Lettres et Sciences Humaines
Université Cheikh Anta Diop de Dakar

Date et lieu de naissance : 1er Mars 1948 à Fatick (Sénégal)

Etudes

Etudes supérieures en France après lobtention du Baccalauréat en 1968 à Bordeaux : Lettres supérieures à Orléans, lettres classiques et philosophie à Tours puis, en philosophie seulement, à la Sorbonne (Paris IV et Paris I où jai préparé et soutenu ma Thèse de Doctorat dEtat ès Lettres et Sciences Humaines en Novembre 1987)
Etudes secondaires (1961-1968) au Lycée Gaston Berger de Kaolack (Sénégal). Lauréat du Concours Général en 1967. Titulaire dune bourse de la coopération française pour des études supérieures en France
Etudes primaires ( 1954-1961) à lEcole régionale Kasnack de Kaolack (Sénégal)

Diplômes obtenus

1987 : Doctorat dEtat ès Lettres et Sciences Humaines obtenu à lUniversité de Paris I Panthéon-Sorbonne devant un jury composé de : MM. Marcel Conche de lUniversité Paris I Panthéon-Sorbonne (Président), Olivier-René Bloch de la même Université (Rapporteur), Jacques Bouveresse de la même Université, Georges Labica de lUniversité Paris X Nanterre et Madame Evelyne-Pisier Kouchner de lInstitut dEtudes Politiques de Paris, Membres. Mention Très Honorable et autorisation de reproduction et de diffusion par lAtelier National de Reproduction des Thèses de Lille